Une thèse sur la Facilitation Stratégique

Entre 2010 et 2014, j’ai mené une thèse de doctorat sur le sujet :

« La facilitation stratégique au service de la gestion du vivant : définition, objectifs, savoir-faire et savoir-être du facilitateur externe »

En menant une démarche réflexive sur ma propre pratique et celle de mes collègues, j’ai mis en évidence les traits caractéristiques de ce métier en émergence, qui consiste à accompagner des acteurs et actrices de territoires et de filières agricoles et alimentaires à se rencontrer et à partager : leurs différentes visions d’un sujet / leurs différentes aspirations pour le développement de leur territoire / leurs coups de cœur et leurs coups de gueule pour faire « projet commun »…

Parce que la décision commune, la co-construction et l’agir ensemble ne vont pas toujours de soi – en particulier sur des sujets sensibles comme la qualité de l’eau, les pesticides, l’alimentation durable, la qualité des sols, l’aménagement du territoire, etc. – il est parfois nécessaire de faire appel à un « tiers facilitateur », une personne ou une équipe garante de l’écoute de chacun.e de façon impartiale, capable de percevoir et de mettre en lumière les espaces possibles de co-action, de (re)créer du lien et de la confiance, pour « passer du problème au projet »…

Qui est le « facilitateur stratégique » ? Comment travaille-t-il ? Quelle est sa posture et quelles sont ses compétences ? Au-delà des méthodes et des concepts, je me suis attachée à poser des mots sur tout cela, et comme j’ai la conviction que la facilitation stratégique est une façon parmi d’autres de contribuer à la Révolution Relationnelle, je vous partage ici le résultat de ces travaux…

Un Prezi de présentation de ma thèse en 4 minutes…

… et le support de ma soutenance du jeudi 3 juillet 2014, qui présente de façon visuelle et synthétique le contexte, la problématique, les résultats et les perspectives de mon travail :

Résumé :

Les réalités du vivant traversent les propriétés publiques et privées, s’influencent mutuellement, sont modifiées par l’Homme, si bien qu’apparaissent, du local au mondial, des situations inédites. Ces « crises » mettent de multiples acteurs, publics et privés, face à des phénomènes qui deviennent, pour eux, des « problèmes de gestion du vivant ». Au-delà de considérations morales, c’est de la peur de l’extinction de l’humanité dont il s’agit, et de trouver des moyens d’action pour concilier les enjeux économiques, écologiques et sociaux de nos sociétés, dans ce que l’on appelle un « développement durable ». Il est question de tenir compte de la complexité du vivant, toujours plus grande, et cela appelle des innovations politiques. Dans ce contexte se développe la tendance lourde de la « participation », ainsi que, depuis plus de vingt ans, l’ « approche patrimoniale ».

Sommaire :

La thèse à télécharger gratuitement :

Partie 1

Partie 2

La conclusion générale de la thèse : éléments-clés à retenir

Notre problématique de recherche : dans un contexte de crises du vivant, qui interrogent sa gestion, s’intéresser au « facilitateur stratégique de la gestion du vivant » est-il pertinent, étant donné que son rôle est peu explicité ?

Le développement des activités humaines est devenu tel qu’il n’est plus possible de considérer l’Homme et la nature de façon indépendante. Le clivage nature / culture a laissé place au concept d’ « environnement », qui tient compte des interactions entre l’Homme et ce qui l’entoure, puis à celui de « vivant », qui les intègre résolument dans une même globalité. Les réalités du vivant circulent, s’influencent les unes les autres, traversent les propriétés publiques et privées, sont modifiées par la main de l’Homme, si bien qu’apparaissent, dans les territoires aussi bien qu’à des niveaux nationaux et mondiaux, des situations inédites, des « crises », qui mettent l’Homme face à une nécessité de changement de « gestion » (entendu au sens de « prise en charge », de « s’occuper de »).

Au-delà de considérations morales ou philosophiques, de la disparition d’espèces et de milieux pour eux-mêmes, c’est de la peur de l’extinction de l’humanité dont il s’agit. Il est question de concilier les enjeux économiques, écologiques et sociaux, dans ce que l’on appelle désormais un « développement durable ». Il est question de passer de la préservation à l’intégration, de tenir compte de la complexité, toujours plus grande, des systèmes dans lesquels nous évoluons. Cela appelle de nouveaux modes de prise en charge du vivant. Cela appelle des innovations politiques.

Dans un monde où la complexité est de plus en plus souvent révélée, dans un monde où la « mondialisation » accroît cette complexité, la gestion du vivant n’est pas épargnée par les problèmes de gestion. Les différentes crises que subit le vivant (pollutions, dégradations de la qualité des eaux et des milieux, perte de biodiversité…) mettent de multiples acteurs, publics et privés, face à des phénomènes qui deviennent, pour eux, des problèmes de gestion du vivant.

Dans ce contexte se développe une tendance lourde : celle de la « participation ». Corrélée à de nombreuses autres notions (« démocratie participative », « concertation », « délibération », « gouvernance »), la participation témoigne de la volonté d’intégrer de nouveaux acteurs dans la décision et l’action politiques, en dehors des périodes de vote de la démocratie représentative.

Parallèlement, depuis plus de vingt ans, l’approche patrimoniale développe des concepts, des méthodes et des outils autour de la notion de « facilitation stratégique ». L’approche patrimoniale, ou approche « en patrimoine commun », repose sur un cadre théorico-pragmatique clair[1], et se donne pour objectif d’accompagner des acteurs de la gestion du vivant[2], dans le contexte qui est le leur, pour résoudre des problèmes complexes et multi-acteurs[3]. Si la notion de « facilitation stratégique » est employée par les concepteurs et utilisateurs des démarches patrimoniales, et s’il existe un réseau de praticiens patrimoniaux qui se nomment eux-mêmes « facilitateurs stratégiques », force est de constater que la figure du facilitateur stratégique a été peu explorée.

Or, une première intervention de l’auteure en tant que « facilitatrice »[4], ainsi qu’une ouverture à d’autres approches (ingénierie territoriale et planification territoriale ascendante) nous ont amenés à penser que la figure du facilitateur stratégique était intéressante, et ce au-delà de l’approche patrimoniale.

Épistémologie de recherche : une démarche de recherche abductive

Face au constat de ce fait surprenant (« la figure du facilitateur stratégique a été peu explorée »[5]), nous avons construit un raisonnement scientifique de type abductif, c’est-à-dire visant à établir une hypothèse qui, si elle s’avérait vraie, permettrait d’expliquer ce fait surprenant. Nous avons ainsi mis en évidence que l’hypothèse explicative la plus pertinente était :

« Si la figure du facilitateur stratégique a été peu explorée, c’est parce que personne jusqu’à présent n’a eu les moyens (en temps, financiers, etc.) d’effectuer ce travail ».

Cette hypothèse, triviale, ne pouvait suffire. Elle soulève en effet de nombreuses questions, et devait, pour être une hypothèse explicative solide, être précisée et étayée par :

  • une définition de la facilitation stratégique de la gestion du vivant ;
  • une caractérisation du rôle du facilitateur stratégique.

Définition de la facilitation stratégique de la gestion du vivant

Afin de construire une définition de la facilitation stratégique de la gestion du vivant, nous nous sommes inspirés de la « facilitation » au sein des organisations. Le constat du développement, dans le monde des organisations (privées comme publiques), d’un accompagnement spécifique nommé « facilitation », dont les objectifs sont comparables à ceux de la « facilitation stratégique » au sens où nous l’entendions pour la gestion du vivant, nous a permis de poser une définition simple de la facilitation stratégique :

« Pratique* d’un acteur tiers** à une situation, à qui des acteurs publics et / ou privés font appel afin de rendre plus facile le déroulement d’un processus*** de changement de gestion du vivant, souhaité par ces acteurs. »

* Nous pourrions dire « un ensemble de pratiques ». Mais ce qu’il est important de préciser, c’est que ce terme « pratique(s) » ne renvoie pas, selon nous, uniquement à des outils et à des méthodes. Nous avons décidé de focaliser notre travail sur la figure du facilitateur stratégique, c’est-à-dire sur ce que signifie « être facilitateur stratégique de la gestion du vivant ». Par « pratique », il faut donc davantage entendre « compétences » (plus précisément « savoir-faire et savoir-être », comme nous le verrons plus loin) que « méthodes appliquées ».

**Précisons dès à présent que ce caractère « tiers » peut être incarné par un acteur « externe » à la situation (extérieur au territoire, qui ne connaît a priori pas les acteurs et n’a pas d’intérêt en jeu), comme il peut l’être par un acteur « interne » à la situation. Il se peut en effet qu’un acteur concerné par le problème abordé, ou le projet à mener, se place en facilitateur des échanges entre acteurs (par exemple un « Préfet coordinateur », ou un chargé de mission de collectivité territoriale, etc.). Notre travail s’est restreint à la facilitation stratégique du point de vue de la figure du facilitateur « externe ». Nous n’avons pas abordé la figure du facilitateur « interne ». Il n’en reste pas moins que le caractère « tiers » du facilitateur a été l’objet de développements.

*** Nous avons décidé, dans cette définition, de concevoir le processus comme étant celui du changement. Il pourrait aussi être conçu comme étant celui de la facilitation stratégique elle-même (nous aurions alors écrit : « la facilitation stratégique est un processus qui… »). En effet, nous pensons qu’il y a deux processus en jeu : le processus de la facilitation, et le processus de changement vécu par les acteurs. Parce que c’est celui-là qui s’avèrera le plus important, nous avons choisi de le privilégier dans notre définition.

Caractérisation du rôle du facilitateur stratégique de la gestion du vivant

Caractériser le rôle du facilitateur stratégique était nécessaire pour consolider notre hypothèse d’abduction. En effet, il nous fallait répondre aux questions suivantes :

  • Qu’est-ce qui caractérise la « pratique » du facilitateur stratégique, ou que signifie « être facilitateur stratégique » ? (Qu’est-ce qui est typique de son intervention ? Quelles sont les compétences dont il doit faire preuve ? Comment se place-t-il dans la situation dans laquelle il intervient ? Que signifie et implique d’être « tiers » à une situation ? Certains éléments de cette pratique distinguent-ils le facilitateur stratégique d’autres figures accompagnant le changement (« animateurs », « médiateurs », etc.) ? Si oui, lesquels ?)
  • Quelles sont les caractéristiques du processus de changement accompagné par le facilitateur ? (Y a-t-il des « grandes étapes » au changement accompagné par le facilitateur ? Concrètement, comment les choses se déroulent-elles ? De quelle nature est ce changement, et en quoi l’action du facilitateur va-t-elle le permettre ? Qu’est-ce qui fait que des acteurs de territoire font appel à un facilitateur ? Qui sont ces acteurs ? Comment le changement s’opère-t-il, ou ne s’opère-t-il pas ? Quels sont les objectifs visés tout au long du processus ? Sont-ils les mêmes pour les acteurs et pour le facilitateur ?)
  • Existe-t-il aujourd’hui un besoin de facilitation stratégique dans les territoires ?

Afin de répondre à ces différentes questions, nous avons construit la méthodologie de recherche suivante.

Méthodologie de caractérisation de la facilitation stratégique de la gestion du vivant, du point de vue de la figure du facilitateur stratégique : une démarche réflexive sur une pratique en tant que « facilitateur/trice stratégique » 

Une pratique de la facilitation au cours de quatre missions

Nous avons mené quatre missions de facilitation stratégique, afin de « vivre » le rôle du facilitateur stratégique. Ces missions ont été menées avec les méthodes de l’approche patrimoniale :

  • l’audit patrimonial « Conditions et moyens du développement durable du tourisme équestre dans l’Arc méditerranéen : quelles stratégies pour les acteurs du monde du cheval et leurs partenaires régionaux dans le Sud-Est de la France ? » ;
  • l’audit patrimonial et les séminaires de rencontre active « Facilitation de l’élaboration d’une stratégie territoriale de développement durable de la qualité de vie dans le contexte de la pollution à la chlordécone en Martinique » ;
  • l’audit patrimonial « Conditions et moyens de l’amélioration de la gestion de la qualité de l’eau et du vivant sur le territoire de la Communauté d’Agglomération Seine-Eure, dans le bassin Seine-Aval : quelle stratégie pour les Hauts-Prés ? » ;
  • l’audit patrimonial du projet de recherche transnational SAS-STRAT[6] (mené dans le cadre du réseau SNOWMAN[7]) « Conditions et moyens de l’amélioration de la qualité des sols sur le territoire du bassin versant de l’Austreberthe et du Saffimbec[8] ».

Ainsi, nous avions comme objectif non pas de faire « l’ » état des lieux de la facilitation stratégique, ou de dresser un panorama de ses métiers, mais de faire « un » état  des lieux. Dans le cadre d’une épistémologie abductive, nous souhaitions faire le témoignage d’une pratique de la facilitation stratégique, et de ses caractéristiques. Il n’en reste pas moins que différentes comparaisons nous ont semblé enrichissantes et instructives pour caractériser notre pratique.

Une comparaison bibliographique avec l’Approche Centrée sur la Personne (ACP)

Carl Rogers, psychologue américain, fut, à partir de la fin des années 1950, à l’origine d’une conception nouvelle de la relation du thérapeute à ses « clients ». Étant donnée la proximité entre l’attitude du thérapeute dont il fait état, et l’attitude du facilitateur stratégique que nous avons vécue, il nous a paru pertinent d’effectuer un certain nombre de comparaisons entre ces deux figures. Il est d’ailleurs intéressant de lire Peter F. Schmid écrire, au sujet de l’ACP : 

« De par la relation centrée sur la personne qu’il propose, le thérapeute est ici compris comme étant un « facilitateur » » (Schmid, 2009).

Une comparaison bibliographique avec d’autres rôles d’accompagnement de démarches participatives

Nous avons également comparé le facilitateur stratégique de la gestion du vivant avec d’autres figures de l’accompagnement de démarches participatives. Ces démarches sont :

  • l’animation de territoires (cas particulier de l’animation des Aires d’Alimentation de Captage – AAC) ;
  • la médiation ;
  • l’aide à la négociation ;
  • la concertation (cas des processus menés dans le cadre de politiques publiques).

Notre objectif n’était pas de faire une évaluation de ces démarches, et encore moins de les « hiérarchiser » les unes par rapport aux autres et par rapport à la facilitation stratégique. Nous souhaitions mettre en évidence, si tel était le cas, des points de distinction entre elles et la facilitation stratégique, et mieux caractériser le rôle du facilitateur.

Un cadre d’analyse

Afin de répondre à nos différentes questions de recherche, nous avons établi un cadre d’analyse de la facilitation stratégique. Ainsi, les critères d’étude que nous avons retenus sont présentés dans le schéma ci-dessous :

Figure 27 – Notre cadre d’analyse de la facilitation stratégique de la gestion du vivant (Levinson, 2014)

Nous avons donc étudié la facilitation stratégique sous l’ange des savoir-faire et savoir-être du facilitateur stratégique, mis au service de ses objectifs et de ceux des acteurs accompagnés. Nous n’avons pas abordé les méthodes et concepts appliqués par le facilitateur stratégique.

Les résultats : la facilitation stratégique de la gestion du vivant, des objectifs, savoir-faire et savoir-être caractéristiques d’un rôle qui répond à un besoin des acteurs des territoires en matière de gestion du vivant.

Les objectifs des acteurs démontrent un besoin de facilitation stratégique ; intervenir non pour des raisons morales, mais par nécessité / pour des raisons d’efficacité

Faire état des objectifs des acteurs accompagnés lors de nos quatre missions de facilitation a mis en évidence trois arguments plaidant en faveur d’un besoin de « facilitation stratégique ».

Premièrement, les objectifs de chacun des groupes d’acteurs accompagnés étaient des objectifs de développement durable. Ils faisaient état d’une volonté de concilier des enjeux économiques, écologiques et sociaux. Or, la facilitation stratégique s’est construite autour de l’idée d’accompagner des projets de développement durable.

Deuxièmement, le contexte de chacune des missions appelait un changement. Au mieux, laisser la tendance se poursuivre conduisait pour les acteurs à une situation « dommage » (non valorisation d’un potentiel ; baisse de la qualité d’une ressource ou d’un milieu, pas vraiment « catastrophique », mais quand même regrettée ; etc.). Au pire, laisser la tendance se poursuivre conduisait à une situation grave en termes économiques, de qualité de vie et de santé. Le changement était donc au mieux souhaité, au pire perçu comme nécessaire, voire vital. Or, nous avons défini la facilitation stratégique comme un accompagnement au changement.

Troisièmement, pour avancer dans ce changement, les acteurs ont exprimé un besoin de « travailler ensemble », d’inventer d’un nouveau mode de « gouvernance », de « co-construire » le projet. L’accompagnement attendu était d’ordre non pas technique, juridique ou scientifique, mais relationnel. Comme l’écrit Didier Christin au sujet du facilitateur patrimonial :

« Les décideurs publics et privés sont de plus en plus soumis à des problèmes, des projets, qu’ils ne peuvent résoudre ou mener seuls, mais qui nécessitent une nouvelle conception de l’action […] ; le facilitateur sécurise la mise en place d’un processus permettant de faire émerger, avec l’ensemble des acteurs concernés, une solution qu’ils ne peuvent maîtriser seuls. » (Didier Christin dans : Guihéneuf et al., 2006, p. 39)

Le facilitateur stratégique accompagne les acteurs à travailler ensemble, à trouver ensemble des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. Parce que ceux-ci sont complexes et multi-acteurs, ils ne peuvent les résoudre seuls.

Les objectifs du facilitateur stratégique de la gestion du vivant

Afin que les acteurs atteignent leurs objectifs, le facilitateur stratégique recherche le déroulement du processus de changement suivant :

Figure 28 – Schéma présentant le processus de changement accompagné par la facilitation stratégique, sous l’angle des objectifs du facilitateur. Trois grandes étapes apparaissent pour les acteurs : comprendre et connaître ensemble ; vivre un changement de vision [9]; agir ensemble (Levinson, 2014)

Pour cela, le facilitateur vise lui-même différents objectifs : s’assurer que la situation dans laquelle il intervient est insatisfaisante pour les acteurs et génère une volonté de changement ; accompagner les acteurs à connaître et comprendre ensemble la situation dans laquelle ils se trouvent ; accompagner les acteurs à opérer un « changement de vision » ; accompagner les acteurs dans l’ « agir ensemble ». Pour chacun de ces objectifs, il met en œuvre des actions et cherche à instaurer différentes conditions, précisées sur le schéma (recueillir les visions des acteurs « en tant qu’experts », compléter l’existant sans le déstabiliser, etc.).

Tout au long de ce processus, le facilitateur stratégique ne cherche pas à « faire pour », mais à « accompagner à ». Il est au service des acteurs, il les aide à créer les conditions nécessaires au changement qu’ils souhaitent, sans lui-même porter ce changement. À ce sujet, la comparaison entre le facilitateur stratégique et le thérapeute de l’Approche Centrée sur la Personne (ACP) s’est révélée intéressante. Dans un article biographique sur Carl Rogers, Fred Zimring écrit :

« Il considérait, en effet, que l’individu possède en lui une capacité de s’auto-actualiser qui, une fois libérée, lui permet de résoudre ses propres problèmes. Plutôt qu’agir en expert qui comprend le problème et décide de la façon dont il doit être résolu, le thérapeute doit, selon lui, libérer le potentiel que possède le patient […] pour résoudre par lui-même ses problèmes personnels. » (Zimring, 1994)

Cela nous conduit à la suite de nos résultats : les savoir-faire et savoir-être du facilitateur stratégique de la gestion du vivant.

Les savoir-faire et savoir-être du facilitateur stratégique de la gestion du vivant

Cinq grands thèmes d’étude des savoir-faire et savoir-être du facilitateur stratégique sont apparus au cours de la thèse : l’expertise, la neutralité, le caractère « tiers », la communication, et la confiance et convivialité. Pour chacun de ces thèmes, nous avons cherché à caractériser le rôle du facilitateur stratégique (Est-il un « expert » ? Est-il « neutre » ? Etc.)

Nous avons résumés ces savoir-être et savoir-faire dans le tableau suivant :

Savoir-faire et savoir-être du facilitateur stratégique de la gestion du vivant Précisions
Le facilitateur : une expertise particulière Le facilitateur stratégique n’est pas un « expert » au sens premier du terme, c’est-à-dire qu’on ne fait pas appel à lui pour qu’il « apporte la solution », ni même un contenu spécialisé, d’ordre technique, juridique ou économique. Il est néanmoins « expert » du processus de changement qu’il accompagne, et fait preuve de connaissances solides au sujet de la gestion du vivant. Il se place en expert de la co-expertise des acteurs (ceux-ci étant considérés comme les « experts » de la situation, au sens premier du terme).
Le paradoxe de la neutralité engagée du facilitateur stratégique Le facilitateur ne prend pas parti, ni pour une personne ni pour une idée : il faut preuve d’équité et de neutralité relationnelle. Il ne juge ni les acteurs ni leurs idées : il fait preuve de « considération positive inconditionnelle » (inspiration de l’ACP). Mais il n’est pas neutre dans le processus : il vise le changement ; il « impose » une méthode ; il est nécessairement rattaché à une structure ; il est rémunéré pour son intervention. De plus, il a de fermes convictions : on ne résout que de façon complexe et multi-acteurs des problèmes complexes et multi-acteurs ; face à la complexité, il faut développer des relations et coopérations nouvelles (ce que l’approche patrimoniale appelle le « commun ») ; les acteurs sont capables de trouver des solutions, dans un contexte où il faut agir ; le facilitateur se place entre constructivisme et positivisme / réalisme ; derrière chacun des actes et paroles des acteurs se trouvent des besoins, toujours positifs.
Le facilitateur se place en « tiers » Être un facilitateur « externe » ne suffit pas à être « tiers ». Pour rester « tiers », le facilitateur se place régulièrement en « position méta » : il questionne sa pratique dans une démarche réflexive ; il est à l’écoute de ses émotions et de son intuition ; il méta-communique avec les acteurs pour les aider à voir ce qui se joue dans le processus.
Le facilitateur stratégique, un acteur de communication Pour bien écouter, le facilitateur : sait questionner et reformuler ;se synchronise à son interlocuteur ;est à l’écoute des émotions des acteurs ;fait preuve d’empathie. Il accompagne les acteurs dans la création d’un langage commun. Il accompagne la négociation tout au long du processus de facilitation. Dans la négociation, il recherche les « jeux à somme positive ».
Le facilitateur sait instaurer et cultiver confiance et convivialité Il passe un contrat écrit avec le commanditaire. Il passe un contrat moral avec chacun des acteurs : le facilitateur travaille à ce que les acteurs voient que les choses changent ;il assure l’équité entre acteurs ; il est clair sur les caractéristiques de l’intervention ; il rassure les acteurs sur la façon dont le processus va se dérouler ; il fait valider les documents produits aux acteurs participant ; il assure la confidentialité. Le facilitateur apaise la peur de l’engagement des acteurs pour développer l’action en responsabilité : il propose un engagement « libre et volontaire » ; il fait preuve d’une écoute responsabilisante ; le projet n’est pas celui du facilitateur. Le facilitateur agit pour développer la convivialité entre acteurs.
Le facilitateur stratégique de la gestion du vivant est un « vecteur » : vecteur d’une expertise stratégique, vecteur d’écoute et d’acceptation, vecteur de congruence et d’empathie, vecteur de communication, vecteur d’un langage commun, vecteur de réflexivité, vecteur de rencontre, vecteur de capacités de négociation, vecteur de confiance et de convivialité entre les acteurs. Sa vocation : disparaître.
Le facilitateur travaille à son « développement personnel » : se connaître pour mieux se tourner vers les autres.

Tableau 19 – Résumé des savoir-faire et savoir-être du facilitateur stratégique de la gestion du vivant (Levinson, 2014)

En quoi la facilitation stratégique diffère d’autres accompagnements

Comparer le rôle du facilitateur stratégique avec d’autres rôles d’accompagnants de démarches participatives nous a permis d’affiner notre caractérisation du rôle du facilitateur stratégique, sur les points présentés ci-dessus (objectifs, savoir-faire et savoir-être). Cela nous a aussi permis de mettre en évidence des différences qui montrent les particularités du rôle du facilitateur. Nous les avons résumées dans le tableau ci-dessous :

Figure avec laquelle le facilitateur stratégique a été comparé Points de différenciation et informations sur le facilitateur stratégique
Animateur de territoire : plus particulièrement l’animateur d’Aires d’Alimentation de Captage (AAC) L’animateur d’AAC cherche à faire appliquer localement un changement souhaité « de l’extérieur » (changement de pratiques agricoles). Ainsi, à la différence du facilitateur, il cherche davantage à convaincre, voire à contraindre, qu’à faire émerger un projet co-construit par les acteurs eux-mêmes. Parce que la volonté de changement est, à l’origine, extérieure aux acteurs, l’animateur d’AAC finit par ne plus être un acteur tiers : il s’intègre au système d’acteurs en tant que défenseur de projet.
Le médiateur, de façon générale, puis le cas particulier du « médiateur environnemental / territorial de projet » (dans le cadre du « dialogue territorial ») C’est le caractère tiers qui fonde la médiation, d’où la pertinence de la comparer avec la facilitation. La comparaison nous apprend que si le facilitateur n’est pas sollicité spécifiquement pour gérer les conflits, il doit être en mesure de le faire. Cas particulier du « médiateur environnemental / territorial de projet » (figure du « dialogue territorial ») : des similitudes importantes sont apparues, d’où la question : ce médiateur particulier, un facilitateur stratégique ? Poursuivre les recherches sur ce point en dépassant l’outil bibliographique (par des échanges avec ces médiateurs), semble une perspective de recherche intéressante.
Le tiers accompagnant de la négociation Une différence fondamentale : la négociation se circonscrit aux moments de rencontres des acteurs. Nous en déduisons qu’il existe des moments de négociation (intégrative) tout au long du processus de facilitation. La comparaison fait émerger l’importance de la recherche des « jeux à somme positive » dans la facilitation.
L’animateur de la concertation (cas des processus menés dans le cadre de politiques publiques) Une approche différente de l’expertise : même si cela n’est pas souhaité, les processus de concertation semblent placer les experts d’un côté, et les citoyens (« profanes ») de l’autre, tandis que la facilitation considère, par définition, les acteurs comme « experts » de la situation. Une hypothèse explicative : malgré la volonté de développer la démocratie participative aux côtés de la démocratie représentative, les démarches de concertation menées dans le cadre de politiques publiques visent davantage une décision qu’un changement de gestion. La concertation semble peiner à faire preuve de « considération positive inconditionnelle », c’est-à-dire à tenir compte de tous les points de vue. L’apparition du « garant de la concertation » pourrait changer la donne : le « garant de la concertation », un facilitateur stratégique ?

Tableau 20 – Résumé de ce qu’a révélé la comparaison entre le facilitateur stratégique et d’autres figures d’accompagnement de démarches participatives, en particulier les points de différenciation (Levinson, 2014)

Nous avons ainsi montré, grâce à ce travail doctoral, qu’il était pertinent de parler du « facilitateur stratégique » de la gestion du vivant, et de « facilitation stratégique » du point de vue de l’accompagnant qui l’incarne (ou des accompagnants qui l’incarnent). Il s’agit en effet d’une pratique originale poursuivant des objectifs maintenant explicités, et mobilisant un ensemble de savoir-faire et de savoir-être spécifiques, pour lesquels il existe un besoin aujourd’hui dans les territoires. C’est une façon d’intervenir qui pourrait, peut-être, être mise au service de la concertation (les « garants de la concertation », des facilitateurs ?) et de « l’ingénierie territoriale ».

Nous avons, dans notre travail, eu une approche tournée fortement vers les relations humaines, notamment du fait de la comparaison du facilitateur avec le thérapeute de l’Approche Centrée sur la Personne (développée par Carl Rogers). Néanmoins, c’est bien du vivant de façon général dont il était question. Le facilitateur intervient pour, notamment, améliorer les relations entre acteurs, mais ceux-ci sont en relation avec les milieux, le territoire, les filières, les questions économiques et écologiques. Nous nous sommes intéressés à ces approches thérapeutiques, mais la facilitation stratégique ne se restreint pas à des questions relationnelles. L’amélioration des relations entre acteurs n’est pas une fin en soi pour le facilitateur ; c’est un moyen. Nous voulions mettre en évidence l’état d’esprit du facilitateur stratégique lors de ses interventions, et pour cela, la transposition avec des approches thérapeutiques était intéressante. Dans le domaine des thérapies, il existe, entre autres :

La psychanalyse L’Approche Centrée sur la Personne (ACP)
Idée sous-jacente : l’Homme a des pulsions négatives dont on se méfie et qu’il faut arriver à « canaliser ». Réponse de l’ordre du contrôle, de la contrainte. Idée sous-jacente : l’Homme est fondamentalement positif. Ses comportements et paroles négatifs sont le résultat de besoins non assouvis. Réponse de l’ordre de l’intégration, de l’émergence.

Tableau 21 – Une différence fondamentale entre la psychanalyse et l’ACP (Levinson, 2014)

En ce qui concerne le facilitateur stratégique, cela est vrai aussi. À la différence de certaines approches et idées radicales, qui affirment que le vivant ne pourra être correctement géré que si l’on restreint les libertés humaines, la facilitation stratégique vise l’intégration des besoins des acteurs et des milieux. Cela repose sur la conviction fondamentale, comme l’ACP, que l’Homme est fondamentalement positif, qu’il partage, comme le reste du vivant, un élan de vie qui le pousse, lorsqu’il a les moyens d’être écouté et accompagné, vers les autres et vers le respect de la faune, de la flore, des écosystèmes.

Perspectives de recherche

Nous n’avons pu traiter, dans cette thèse, toutes les questions relatives à la facilitation stratégique de la gestion du vivant. Voici les perspectives de recherche qui sont apparues lors de notre travail.

L’évaluation des démarches de facilitation stratégique de la gestion du vivant

Dans ce travail doctoral, nous avons mené nos missions de facilitation stratégique en suivant les méthodes de l’approche patrimoniale. Il paraît légitime de se demander quelle évaluation nous pourrions en faire, et plus généralement quelle évaluation nous pourrions faire de toutes les démarches patrimoniales menées jusqu’à présent. Celles-ci sont nombreuses, car se déploient depuis de nombreuses années, par un réseau de facilitateurs qui en entreprennent chaque année de nouvelles. Elles sont nombreuses aussi car des étudiants d’AgroParisTech en mènent chaque année dans le cadre de leurs études.

De façon plus générale, il est légitime de se demander quelle évaluation pourrait être faite des démarches de « facilitation stratégique de la gestion du vivant » (au sens qui a été donné dans cette thèse), que les méthodes utilisées soient ou non celles de l’approche patrimoniale. Cela semble pouvoir constituer un travail de recherche en soi, étant donnée l’ampleur d’une telle entreprise. Évaluer ce genre de démarches pose la question de la pertinence des critères d’évaluation : comment évaluer l’efficacité d’un changement ? Comment s’assurer que le changement mis en œuvre est satisfaisant ? Comment connaître ses effets sur le vivant ? Etc. Une telle évaluation pourrait reposer sur des entretiens auprès de commanditaires et d’acteurs ayant été accompagnés par de la facilitation, plusieurs mois ou années après.

Mais avant même de réaliser cette évaluation, encore faudrait-il connaître ces démarches de facilitation stratégique. Si les démarches menées dans le cadre de l’approche patrimoniale sont facilement identifiables, ce n’est pas le cas des démarches menées dans d’autres cadres.

Un panorama des métiers de la facilitation stratégique de la gestion du vivant

Avant de faire une évaluation des démarches de facilitation entreprises dans le domaine de la gestion du vivant, il semble nécessaire de savoir ce qui pourrait entrer dans le champ de la « facilitation stratégique de la gestion du vivant ». Nous avons posé une définition de la facilitation stratégique, et fait une caractérisation de la figure du facilitateur stratégique. Cela pourrait permettre de dresser un panorama des métiers de la facilitation stratégique. Comme ne l’avons déjà dit, nous ne pensons pas que la facilitation stratégique soit intrinsèquement liée aux méthodes patrimoniales que nous avons utilisées. D’autres méthodes pourraient être employées par des « facilitateurs stratégiques », qui interviendraient donc en dehors du cadre de l’approche patrimoniale.

Il nous semble donc intéressant de prospecter sur les professionnels qui, même s’ils ne se nomment pas ainsi, travaillent de façon similaire avec le facilitateur que nous avons décrit, et de savoir quelles méthodes et outils ils utilisent. Nous avons écarté, dans ce travail doctoral, certaines « pistes » dans lesquelles nous pensions initialement trouver de la facilitation stratégique, et qui finalement se sont révélées avoir d’autres présupposés (animation de territoire, aide à la négociation, concertation jusqu’à l’apparition du garant). Mais d’une part, le champ de la participation est vaste et laisse d’autres perspectives à explorer[10], et d’autre part, au sein des comparaisons que nous avons faites, ont aussi émergé des pistes à approfondir : celle du « médiateur territorial / environnemental de projet » (au sens du « dialogue territorial ») et celle du garant de la concertation.

Cette thèse, conçue comme un témoignage, avait pour objectif de faire part d’une pratique de la facilitation stratégique, permettant de la définir et de la caractériser. Nous concevons ce travail comme une première étape, comme un appel aux acteurs qui se reconnaîtraient dans cette description. Cela pourrait engager des échanges sur les pratiques, sur les méthodes et les contextes d’intervention.

Par ailleurs, la poursuite de la comparaison pourrait se faire au-delà des frontières françaises. Elle devra alors intégrer les différences des fonctionnements institutionnels, associatifs et privés des acteurs. Il s’agit, selon nous, d’un travail conséquent.

Améliorer les outils et les méthodes de la facilitation stratégique

En outre, dresser un panorama des intervenants qui pourraient ou souhaiteraient être qualifiés de « facilitateurs stratégiques » permettrait un partage au sujet des méthodes et des outils employés, afin d’améliorer les interventions.

Par exemple, nous pensons que les interventions menées avec les méthodes patrimoniales pourraient être enrichies par l’utilisation d’outils visuels. À ce titre, il pourrait être intéressant de mener un travail croisé avec des intervenants utilisant la cartographie, les Systèmes d’Informations Géographiques (SIG), la photographie (Michelin, 1998), la co-construction de représentations graphiques (Lardon et Piveteau, 2005), la « facilitation graphique » (utilisée au sein des organisations), ou encore le paysage (« médiation paysagère »).

Par ailleurs, si la facilitation stratégique telle que nous l’avons pratiquée repose sur des entretiens approfondis, menés avec chacune des personnes concernées par le sujet abordé, chacun des acteurs n’est vu individuellement qu’une seule fois. Sans aller jusqu’à une « thérapie », peut-être pourrait-il être profitable, pour chacun des acteurs et pour la gestion du vivant accompagnée par la facilitation stratégique, de proposer à ces acteurs un accompagnement personnel suivi dans le temps (dont les modalités restent à établir). Ainsi, l’accompagnement personnel pourrait devenir une composante de la facilitation stratégique de la gestion du vivant.

La facilitation stratégique interne

L’ouverture à d’autres réseaux d’intervenants et à d’autres méthodes et outils d’intervention pourrait aussi se faire auprès d’acteurs de la « facilitation interne ».

Au cours de nos recherches, il nous est apparu que la facilitation stratégique pouvait être incarnée de deux façons très différentes. D’une part elle peut être incarnée par une personne (ou une petite équipe) « externe » au système dans lequel elle intervient. C’est le cas que nous avons étudié dans cette thèse : le facilitateur est extérieur a priori. Ce peut être un salarié de bureau d’études ou de cabinet de conseil, un consultant indépendant, le membre d’une association indépendante, un chercheur…

 D’autre part, la facilitation stratégique peut être incarnée par une personne (ou une petite équipe) « interne » au système dans lequel elle intervient. Il peut s’agir, par exemple, de certains agents de collectivités territoriales (chargés de mission développement durable, par exemple), de certains acteurs de l’État, de certains chefs de projets ou chargés de mission de Parcs Naturels Régionaux, Syndicats mixtes, organismes associés à l’État ou à une collectivité territoriale (ADEME, ONF, IAURIF, NatureParif…), de certains élus, etc. De façon plus ou moins claire dans leur fiche de poste ou dans leurs attributions, ces personnes font en sorte de « mettre de l’huile » dans les rouages des différents projets qu’ils suivent, de faire se rencontrer les différents acteurs, de les faire travailler ensemble pour faire face à la complexité des situations qu’ils rencontrent. Peut-être ces acteurs peuvent-ils être considérés comme des « facilitateurs stratégiques internes ». Dans le cas de la facilitation au sein des organisations, il n’est pas rare que certains salariés se forment à la facilitation, pour appliquer en interne des méthodes de facilitation.

Ce rôle de facilitateur interne serait, à notre avis, intéressant à étudier, puisqu’il demande aux facilitateurs un détachement, vis-à-vis de la situation, des acteurs et des projets, qu’ils n’ont pas a priori. Comment gèrent-ils d’être à la fois des acteurs concernés, et à la fois des acteurs accompagnants ? Comment peuvent-ils se placer en « tiers » ? Quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent ? Se placer en tiers de la situation est particulièrement difficile lorsque l’on est personnellement impliqué dans un projet, c’est-à-dire lorsque l’on vit sur le territoire. Cette difficulté peut être renforcée si l’on est engagé politiquement ou socialement dans le projet, si l’on y a de quelconques engagements financiers, etc.

Là aussi, un panorama des métiers de la facilitation (interne) pourrait être dressé. Il permettrait de savoir qui peut être qualifié de « facilitateur stratégique interne ».

Enfin, comparer la figure du facilitateur stratégique interne avec celle du facilitateur stratégique externe pourrait, à notre sens, être aussi intéressant. Si ce sont des rôles qui, dans la pratique, se développent, les caractériser est d’une aide précieuse pour les hommes et les femmes concerné(e)s.

La formation des facilitateurs stratégiques

Pour finir, un dernier point nous semble pouvoir constituer une perspective de recherche intéressante. Il s’agit de la formation des facilitateurs stratégiques, qu’ils soient internes ou externes. Nous avons présenté dans cette thèse les savoir-faire et savoir-être du facilitateur stratégique, mais n’avons pas abordé la façon de les acquérir et de les développer.

Ce travail pourrait passer par l’étude des formations déjà existantes, qu’il faudrait déjà recenser. S’il existe une formation spécifique au sein d’AgroParisTech[11], qui vise à faire acquérir aux étudiants des capacités de facilitation au travers de l’apprentissage et de la mise en pratique des concepts et méthodes de l’approche patrimoniale, d’autres formations existent certainement, qui visent à transmettre tout ou partie des savoir-faire et savoir-faire que nous avons présentés dans cette thèse.

La question de la formation à la « facilitation » est présente dans le domaine de l’intervention auprès des organisations : « Quelle formation peut-on imaginer pour faciliter l’apprentissage de ce rôle social ? » (Bec et al., 2007, p. 12). Des formations existent déjà et se développent  (nous en avons suivie une, organisée par le cabinet Formapart).

La question est aussi présente chez les auteurs du « dialogue territorial ». En témoigne l’ouvrage « La formation au dialogue territorial » (Guihéneuf et al., 2006), qui fait état d’une réflexion menée sur le sujet de la formation des animateurs et des médiateurs de la concertation. Il questionne en particulier le statut des personnes formées : « le médiateur doit-il se former aux techniques du thème considéré (gestion des ressources naturelles, aménagement du territoire…) ou bien le technicien doit-il se former aux méthodes de médiations ? » (Douillet et Barret, 2003, pp. 18-19).

Autre exemple, la question de la formation ressort de façon récurrente dans les écrits portant sur l’ « ingénierie territoriale ». Elle est à la fois le signe des évolutions vécues par l’ingénierie territoriale (le développement d’une offre de formation révélant un besoin) et à la fois un sujet de questionnements : Comment former les agents de l’ingénierie territoriale ? Comment la formation peut-elle être un soutien au développement des compétences de l’ingénierie territoriale ? Parmi les compétences citées par Laurent Trognon (2013a) se trouvent des aptitudes relationnelles, la réflexivité (comme « capacité à tirer des enseignements de sa propre expérience ») et la culture générale[12], qui renvoient inévitablement à la question de la formation.

Il nous semble que dans cette perspective de recherche apparaît une question tout à fait intéressante : comment former à quelque chose qui est de l’ordre du vécu ? La facilitation stratégique, en particulier dans sa dimension humaine et relationnelle, est de l’ordre de l’expérience. C’est une pratique qui s’acquière en grande partie « sur le terrain ». Pour ne donner qu’un exemple, négocier (et donc aussi accompagner la négociation) s’apprend et se travaille : « Bien entendu, […] la négociation ne s’improvise pas : elle exige, d’une part, une organisation formelle (institutions, lieux, langages, procédures de négociation), d’autre part un apprentissage social : pour atteindre ce second objectif, une pédagogie adaptée devra être diffusée » (Barouch, 1989, p. 163). Ury et al. écrivent, en parlant de la négociation, que « c’est en forgeant qu’on devient forgeron » (Ury et al., 2006, p. 217).

Dès lors, comment enseigner une expérience ? Au sujet de l’apprentissage, Carl Rogers a écrit que

« le maximum que quelqu’un puisse faire pour transmettre [l’apprentissage expérientiel] à quelqu’un d’autre est de créer certaines conditions qui rendent possible ce type d’apprentissage. On ne peut le contraindre » (Rogers, 1968, pp. 147-148).

L’idée pourrait-elle être d’utiliser les méthodes, objectifs, savoir-faire et savoir-être de la « facilitation » pour former à la facilitation ?


[1] Dans lequel, notamment, les concepts de « vivant », de « patrimoine », de « commun », de « qualité », ont fait l’objet de recherches et de publications.

[2] Acteurs publics et privés : État et représentants de l’État ; collectivités territoriales ; professionnels tels que agriculteurs, pêcheurs, acteurs économiques ; associations ; chercheurs et scientifiques ; etc.

[3] Par exemple : préservation ou amélioration de la qualité d’un cours d’eau, gestion des pesticides sur un territoire, préservation de la qualité de la nature dans un contexte périurbain, amélioration de la qualité de l’offre alimentaire, etc.

[4] Audit patrimonial « Conditions et moyens du développement durable du tourisme équestre dans l’arc méditerranéen : quelles stratégies pour les acteurs du monde du cheval et leurs partenaires régionaux dans le Sud-Est de la France ? » mené en 2010

[5] Constat d’autant plus surprenant que, comme nous venons de le voir, le facilitateur stratégique semble intéresser au-delà de l’approche patrimoniale.

[6] Sustainable Agriculture and Soil: comparative study of strategies for managing the integrated quality of agricultural soils in different regions of Europe / Belgium, France, Netherlands

[7] Knowledge for sustainable soils

[8] Ce territoire se trouve en Haute-Normandie.

[9] Nous avons choisi d’illustrer l’idée du changement de vision avec la caricature de William Hill, intitulée « Ma belle-mère et ma femme » (1915). Cette image montre qu’un même élément peut être perçu de deux façons différentes : il s’agit en effet d’une double-image, telle qu’en fonction de la façon dont on la regarde, on voit tantôt une vieille femme, tantôt une jeune femme.

[10] Par exemple, existe-t-il des praticiens du « management territorial » (Trognon, 2011) qui se reconnaissent dans la description que nous avons faite de la facilitation stratégique ?

Par ailleurs, y a-t-il des chercheurs qui s’y retrouvent ? Par exemple, la lecture de la Charte du réseau ComMod (modélisation d’accompagnement) montre qu’au-delà de l’ « outil modélisation », des chercheurs ont investi la question de leur rôle dans l’accompagnement de problèmes et / ou de projets complexes de territoires. Dans cette charte, ils présentent une « posture » de recherche proche de la façon dont le facilitateur stratégique intervient, qu’ils préconisent de respecter quels que soient la méthode et l’outil mis en œuvre (méthode qui peut d’ailleurs, selon ses auteurs, être l’audit patrimonial).

[11] Différents modules de formation proposés par l’Unité de Formation et de Recherche « Gestion du Vivant et Stratégies Patrimoniales » (UFR GVSP).

[12] Au sujet de la culture générale, l’auteur écrit : « La culture générale dont il est question ici ne concerne pas les arts et leur histoire (bien que cela ne soit à négliger). Il s’agit simplement des fondamentaux de géographie, science politique, sociologie, économie, management, biologie, etc. dont la connaissance s’avère essentielle pour mener à bien une mission d’ingénierie territoriale. Selon le parcours universitaire du professionnel, des manques peuvent s’observer qui peuvent handicaper un bon accompagnement de la prise de décision d’un élu, puis sa traduction opérationnelle. On observe ainsi parfois des profils marqués par une formation juridique forte, mais peu sensibles à la spatialisation, ou par une culture solide de géographe, mais une naïveté quant au b.a. ba de philosophie politique. Les formations à l’IT doivent intégrer cette ouverture interdisciplinaire durant la formation initiale et l’offrir en formation continue. » (Trognon, 2013a)

Facilitation Stratégique // Développement Durable // Empathie // Savoir-Faire // Savoir-Être // Congruence // Considération Positive Inconditionnelle // Écoute Active // Carl Rogers // Commun // Collectif // Participation // Démocratie // Vivant // Complexité // Multi-acteur // Posture // Systémique // Accompagnement au Changement // Réflexivité // Crises // Pollutions // Sols // Agriculture // Eau // Chlordécone // Territoire // Alimentation // Agir-Ensemble // Groupe // Processus // Co-expertise // Intuition // Communication // Neutralité Engagée // Confiance // Convivialité // Animation // Médiation // Concertation // Négociation // Tiers garant

4 commentaires

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  2. […] le plaisir de partager aujourd’hui avec vous un extrait de ma thèse, qui sera également un extrait de l’ouvrage « 10 clés pour (se) relier », consacré à […]

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