Le texte brut :
« Après la révolution cognitive, la révolution agricole, la révolution scientifique et industrielle, je crois que le temps est venu pour l’espèce humaine d’opérer une nouvelle révolution : la révolution relationnelle.
J’ai conscience que les grands récits qui ont guidé l’humanité dans son développement touchent à leur fin. Le dernier en date, celui de la maîtrise du vivant par la technique, de la production agricole et alimentaire par des modèles industriels, de la croissance illimitée des activités et des productions comme objectif suprême, de l’économie capitaliste basée sur la compétition, atteint ses limites. Ce récit nous a apporté développement, confort et avancées médicales, une forme de progrès nécessaire par le passé, mais il peine à répondre aux nouveaux enjeux de société : écologiques, climatiques, démocratiques, sociaux…
Je partage le constat que nos modes de vie épuisent les ressources naturelles, que le consumérisme ne comble pas tous nos rêves de bonheur, que nos systèmes démocratiques sont remis en cause par les volontés citoyennes de participer davantage et autrement aux politiques locales, nationales et internationales, que les religions clivent les êtres humains plus qu’elles ne les soudent, que nombreux sont celles et ceux qui se demandent quel est le sens de leur vie, que le monde du travail produit souffrances et burn-out…
J’entends de plus en plus de chercheurs, de penseurs, d’acteurs de terrain exprimer que la civilisation que nous avons construite est menacée de disparaître, et avec elle une part importante de la biosphère. À leurs yeux, les dérèglements climatiques, la perte de biodiversité, les pollutions diffuses, l’artificialisation des sols, l’acidification des océans, sont au mieux les symptômes de crises profondes du vivant, au pire la manifestation de l’effondrement inéluctable du paysage mondial que l’on connaît aujourd’hui.
Je perçois qu’en réponse aux troubles et aux incertitudes associés à cette situation inédite, la méfiance, voire le conflit, se développent, envers de nombreux secteurs d’activité : institutions et systèmes politiques ; grandes entreprises ; banques et système monétaire ; agriculture et alimentation ; industrie ; science et médecine… en réalité envers tout ce qui sort de notre sphère d’appréhension directe, envers tout ce que nous connaissons peu ou mal. Et plus l’opacité est grande, plus la défiance se renforce.
Néanmoins, j’ai la conviction ou l’envie farouche de croire que cette situation inédite est également une formidable opportunité qui s’ouvre à nous, celle de rester dans les annales de l’Histoire non pas comme l’espèce terrestre parasite qui a détruit sa terre-mère, mais comme celle qui a su évoluer et construire le meilleur pour elle-même et pour le vivant dont elle fait partie.
Des initiatives émergent, dans les territoires ruraux, dans les villes, dans les entreprises, dans les fermes, dans les écoles. Elles recréent du lien et se donnent souvent pour ambition d’intégrer les enjeux écologiques, sociaux et économiques dans leur pluralité. De nouvelles formes d’agriculture, d’éducation, de travail, d’alimentation, d’habitat, d’économie, de production d’énergie, voient le jour.
Pourtant, si ces initiatives doivent être soutenues, se développer et essaimer, elles ne peuvent constituer un récit de civilisation et emporter l’adhésion de l’ensemble des hommes et des femmes de la planète. Le récit de « l’alternative » – agriculture urbaine, production locale d’énergie, monnaies locales, circulations douces – ne pourrait constituer un projet de société, car il exclut certaines visions du monde qui existent en nous et auxquelles nous ne voulons pas renoncer : le confort acquis durement pendant des millénaires, la lutte contre les maladies et la souffrance physique, la sécurité alimentaire, l’accès quasi illimité et immédiat à la connaissance et à la culture, et surtout le sentiment d’avoir le choix.
Dès lors, quel grand récit serait à la fois suffisamment désirable pour que chaque femme et chaque homme de la planète ait l’envie de l’incarner, et suffisamment porteur d’espoir vis-à-vis des défis que nous avons à relever ?
Se faire tout petit n’a jamais été et ne sera jamais une ambition humaine. Ce récit ne peut être celui d’une limitation autoritaire de nos libertés. Nous aspirons tous à une expansion. Jusqu’à présent, l’expansion humaine a été territoriale, idéologique, religieuse, cognitive, temporelle, industrielle. Dans le récit de demain, cette expansion prendra la forme de l’épanouissement des êtres et des systèmes naturels et humains.
Il ne s’agit pas de retrouver un état antérieur. Il ne s’agit pas de « sauver la nature » ni même de « sauver l’humanité ». Il ne s’agit pas de savoir si nous serons (ou devrions être) tous végétariens demain, propriétaires de panneaux photovoltaïques, cultiverons tous nos légumes et roulerons en voiture électrique. Nous ne nous réunirons pas sous un récit en forme de modèle et de préconisations, aussi éthiques soient-elles.
Il s’agit de gravir un nouvel échelon de civilisation, de construire une humanité qui n’oppose pas mais qui inclut, qui ne juge pas mais qui accueille, qui travaille autant les relations que les éléments de la relation. Une humanité de la complexité. Une humanité qui conjugue, qui incarne la conviction que c’est dans la rencontre de ce qui peut apparaître comme antinomique que se trouvent les réponses aux questions que l’on se pose et aux problèmes auxquels on fait face. Une humanité qui sorte gagnante des dilemmes et qui ne tombe ni dans l’uniformisation mondiale de nos modes de vie et de pensée, c’est-à-dire dans la disparition de notre diversité et de nos singularités humaines, culturelles, gastronomiques, imaginaires, paysagères… ni dans le repli identitaire, la fermeture des frontières, la peur de l’autre et le conflit permanent, qui préservent les singularités au détriment de la paix et de l’harmonie.
Il s’agit de travailler ensemble à faire monter notre civilisation vers un nouvel horizon, celui de l’interaction, de la relation, pour la réalisation de chacun.e, de nos communautés de vie et de la nature.
Tous les éléments sont là, mais il nous reste un énorme chantier à mener, joyeux et terriblement inconfortable, enthousiasmant et fort déroutant : construire des relations attentives et sincères, une véritable écoute active et attentive de soi, de l’autre et du monde. C’est cette écoute de soi, de l’autre et du monde, cette ambition sincère et entière de prendre soin, qui constituera le récit de civilisation intégrateur de la diversité et de la complexité de nos mondes intérieurs et extérieurs, qui nous permettra de sortir des clivages et des cloisonnements qui renforcent les rapports de force et sapent les énergies. C’est par là que nous verrons émerger des « troisièmes voies » positives, que nous sortirons des voies sans issues de la dichotomie et du jugement (agriculture biologique vs agriculture conventionnelle, croissance vs décroissance, politiques de droite vs politique de gauche, riches vs pauvres, hommes vs femmes, urbains vs ruraux, local vs global, etc.), et que chacun.e pourra atteindre son épanouissement non pas au détriment des autres et de la nature, mais en interaction avec eux.
Notre récit des décennies à venir sera celui de la relation, du lien, de l’écoute : de soi, de l’autre, du monde.
Je ne peux dire aujourd’hui à quoi ce monde ressemblera, mais j’aimerais que chaque être vivant – humain, animal, végétal, rocher et rivière – soit considéré avec importance et respect ; j’aimerais que les femmes et les hommes politiques, en plus d’être d’excellents orateurs, soient d’excellents écoutants ; j’aimerais que les débats d’idées ne soient plus des combats mais des échanges sincères qui fassent évoluer chacun.e au travers de la rencontre ; j’aimerais que chacun.e puisse trouver le sens de sa vie en accord avec ses valeurs, et dans le respect des autres et de la nature ; j’aimerais que les rythmes et cycles naturels, qui alternent repos et productivité, entrent à nouveau dans nos vies ; j’aimerais que dans tous les contextes professionnels, on puisse parler librement de la façon dont on vit son métier ; j’aimerais que la vocation des entreprises ne soit pas de générer du profit, mais du sens et de l’attention ; j’aimerais que toutes les formes de médecines, traditionnelles, allopathiques, homéopathiques, s’associent plutôt que se concurrencent ; j’aimerais que l’agriculture, partout dans le monde, tire parti du meilleur de chacun de ses « modèles »…
Je sais que chacun.e d’entre nous peut construire et apporter sa part de réponse à cette révolution relationnelle, respectueuse de ce qui compte fondamentalement pour chacun.e, pour nos proches, pour nos sociétés humaines et pour tous les êtres et les systèmes vivants de la Terre.
Cette révolution relationnelle, je désire y participer, l’imaginer et contribuer à la mettre en œuvre ! »
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