Transition écologique et révolution relationnelle : une interview par Back To Earth

C’est non sans joie et fierté que je vous partage ici l’interview que j’ai eu la chance de donner auprès d’Emmanuelle Coratti, Présidente et Fondatrice de l’association Back To Earth. Merci à elle !

Voici comment cette interview, sous forme de podcast, est présentée sur la chaîne YouTube de Back To Earth :

« Après les révolutions cognitive, agricole, et industrielle, l’Histoire et la complexité des crises que nous traversons nous amènent vers une nouvelle révolution : la « révolution relationnelle ». Rapport à soi, aux autres, au Vivant, Elise Levinson, chercheur et facilitatrice stratégique chez Sol et civilisation, explore les enjeux et impacts de cette révolution, en particulier dans le domaine de la transition écologique. Un axe de recherche passionnant, à découvrir plus en détail sur https://www.revolution-relationnelle.com »

Si cela vous intéresse, n’hésitez pas à écouter le podcast, et à le faire connaître autour de vous 😉

Le texte de mon propos :

« Il n’y aura pas de changement, il n’y aura pas de modification de la situation si vous ne vous interrogez pas, et si vous ne travaillez pas ce qui vous placent « en interaction avec » :

  • en interaction avec vous-même – qu’est ce qui se passe pour vous dans cette situation, quelle est la façon dont vous vivez le problème ou la situation ;
  • en interaction avec les autres, parce qu’on replace la personne dans un écosystème, dans un « éco-socio-système, c’est-à-dire un système naturel et social de ses relations professionnelles, personnelles, amicales, etc.
  • en interaction avec le monde, c’est-à-dire de replacer cela dans quel est le sens, quelle est la contribution,  quelle est la place que ça prend dans une évolution du monde de façon plus globale, pour se sentir acteur / actrice d’un projet de société, finalement.

Après un certain nombre de révolutions de l’humanité – une révolution cognitive où l’être humain a développé des capacités intellectuelles, des capacités de compréhension, de connaissance et des capacités aussi à s’outiller pour agir dans le monde ; après une révolution agricole qui a eu lieu au néolithique, où l’être humain a investi le monde au travers de son alimentation et a développé une capacité à prévoir et anticiper sa capacité à se nourrir, à produire lui-même son alimentation ; et puis plus tard les révolutions scientifiques, techniques et technologiques, donc cette fameuse modernité qui a été pourvoyeuse d’un certain nombre de bienfaits en termes de médecine, de santé, de confort, de sécurité aussi… – eh bien il y a ce besoin d’opérer une nouvelle révolution qui soit moins sur le fond que sur les relations, c’est-à-dire comment est-ce que l’on peut être ensemble dans le monde, être ensemble les uns avec les autres, et être aussi avec soi-même. Dans des relations qui permettent d’explorer de nouveaux modèles de vie, de nouveaux modes de vie, de nouveaux modes de pensée, etc. et qui nous permettent aussi d’apporter des réponses et des solutions aux problèmes qui se présentent à nous et pour lesquelles on a besoin d’un changement de type 2, c’est-à-dire d’un changement pas uniquement des outils qu’on va mobiliser, mais aussi de la façon dont on va les mobiliser.

Donc la révolution relationnelle, c’est un peu une proposition, l’idée de se dire « si je questionne à la fois qui je suis et ce que je fais, et ce que l’on fait aussi ensemble au niveau collectif, puis-je ouvrir ce champ de la relation ? » C’est-à-dire voir que « 1 + 1 = 3 », qu’on a des éléments – que ce soit des éléments humains ou des éléments naturels : des animaux, des cours d’eau, des montagnes… – et en plus de ces éléments, il se passe quelque chose dans l’interaction entre ces éléments, et ce qui se passe dans l’interaction entre ces éléments est presque aussi important que les éléments en eux-mêmes.

En fait, c’est mobiliser notamment la pensée complexe qu’Edgar Morin a beaucoup investie, sur laquelle il a beaucoup écrit et mené une recherche très approfondie. C’est voir comment cette pensée complexe peut venir enrichir et compléter une pensée qui est plutôt, si on simplifie, celle de Descartes : une pensée rationnelle, analytique, qui va découper le monde en briques élémentaires pour comprendre finement, à différentes échelles, ce qui se joue dans chacune des briques de notre univers de notre environnement.

Edgar Morin dit que le monde ne s’explique pas uniquement quand on a compris chacune des briques qui le compose – bien sûr c’est important de connaître les briques, on a besoin de savoir, d’avoir des données, qu’elles soient génétiques, biologiques, microbiologiques, etc. – mais on a aussi besoin de savoir comment ces briques entrent en interaction les unes avec les autres, et qu’est-ce que ces interactions créent et génèrent.

Si je prends une petite illustration qui me plaît bien, et que l’on reste sur l’histoire des briques, mettons que vous avez un tas de briques au fond de votre jardin. Bon, vous avez un tas de briques. Si, de ces briques, vous construisez un mur, ou si de ces briques vous construisez un banc pour les amoureux qui passent dans votre jardin, vous voyez qu’il ne se passe pas la même chose, et pourtant ce sont les mêmes briques, et vous les connaissez par cœur ces briques, vous en connaissez la forme, vous en connaissez la couleur, vous en connaissez la matière, et pour autant les relations que vous allez développer entre ces briques vont créer une émergence dans la forme que vous allez donner, dans la façon dont vous allez les agencer, et qui va créer une réalité ou une toute autre réalité. Soit vous vous coupez de votre voisin, soit vous vous coupez du vent, soit vous créez une niche pour votre chien ou encore une fois un banc pour se poser là et être au milieu du jardin.

Donc la révolution relationnelle, c’est proposer de se mettre dans cette disposition à la fois d’esprit mais aussi de présences et d’attention à ce qui se passe dans les relations, et là il y a selon moi trois catégories, trois types de relations, qui sont elles-mêmes très étroitement liées et en interaction. C’est :

  • la relation à soi, et c’est tout le champ de la connaissance de soi, de la capacité aussi à être en connexion et en présence à ce qui se passe pour soi dans sa vie, dans chaque moment et de façon générale dans ce que l’on a envie d’être et de faire dans le monde. C’est presque pour moi un champ de recherche en tant que tel que chacun peut investir.
  • la relation à l’autre, aux autres, là c’est comment est-ce que j’entre en contact avec l’autre, qui je peux être pour lui, qui il peut être pour moi, et c’est aussi qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ? Donc c’est dans une relation à deux mais c’est aussi dans une relation à plusieurs, donc ça ouvre tout le champ de la réflexion de l’action ensemble : l’action collective, l’action commune, le fonctionnement de nos institutions, de nos systèmes politiques, de nos organisations, que ce soit des associations, des entreprises, etc.
  • et puis il y a le champ de la relation au monde, donc la relation à la nature, aux écosystèmes, à ce qui se passe dans le monde comme phénomènes, à la fois naturels mais aussi sociaux. C’est donc développer aussi cette capacité à être attentifs / attentives à ce qui se passe en dehors de soi et dans l’interaction à soi : comment est-ce qu’on reçoit tout ça et comment est-ce qu’on a envie d’être acteurs et citoyens du monde.

C’est vrai que la révolution relationnelle, c’est à la fois un concept, et puis presque un postulat dans l’accompagnement, dans la mesure où ça peut être explicité grâce à ces mots-là. En tout cas moi ça me permet d’expliciter ce qu’on va travailler dans l’accompagnement, que ce soit un accompagnement individuel, un accompagnement collectif, un accompagnement de territoire ou aux filières agricoles et alimentaires. Le fait de se dire que de façon explicite et intentionnelle on va aller chercher à comprendre ce qui se joue dans les interactions de chacun avec la question qui est posée – que ce soit une question de qualité de l’eau, de paysages dans un territoire, une problématique de pollution quelle qu’elle soit. C’est dire « comment est-ce que vous vous entrez en relation avec cette réalité-là, avec cette question-là, c’est ça qui nous intéresse, de voir ce qui se passe entre vous et ce territoire, cette problématique, ce sujet-là ». Et puis de façon explicite aussi on leur dit éon cherche à comprendre ce qui va se jouer entre acteurs, entre vous et les autres, et entre les autres même si on vous extrait, si on vous place en situation d’observateur, qu’est-ce qui va se jouer entre vous et qu’est-ce qui va se jouer entre vous vis-à-vis de cette réalité du vivant ». En fait, c’est là-dessus que l’on estime qu’il y a des ressorts de changement possible.

Je constate au travers de mes accompagnement qu’il y a de plus en plus de personnes qui sont dans cette posture d’avoir ou de vouloir créer, recréer, du lien entre une diversité de profils, de projets, d’envies, sur des sujets qui sont agricoles, alimentaires, environnementaux, une diversité de compétences dans les territoires, etc. Donc j’avais envie de transmettre ce qui m’apparaissait comme des « clés ». Alors c’est bien plus complexe que des « trucs et astuces » évidemment, mais voilà, c’est un peu une aide à pouvoir investir la relation en tant que telle.

S’il y avait dix clés pour contribuer à créer du lien, à recréer du lien dans la société aujourd’hui quelles seraient ces dix clés ? Il y en a 10 mais ça, peu importe… Il y en a une par exemple qui me tient particulièrement à cœur, c’est d’être dans le développement de sa capacité d’écouter. Pourquoi l’écoute ? Parce qu’il me semble que la relation elle commence par là. Là où on est largement habitué à s’exprimer, à prendre une place dans l’espace de parole, à convaincre l’autre, à apporter de l’information ou de l’idée en pensant que c’est ça qui va contribuer à la relation et qui va contribuer aussi à un changement, en particulier de la part de l’autre, il me semble que l’écoute est aussi, ou peut-être même plus, un facteur de changement et de réussite dans la relation. Or, écouter, on n’a pas vraiment appris à le faire… En fait, écouter c’est très déstabilisant parce qu’on a l’impression d’être dans une position passive, que ce soit quand on s’écoute soi-même, quand on écoute l’autre ou quand on écoute la nature. Alors qu’en fait c’est une posture active, c’est une posture qui consiste à être extrêmement présent, vigilant à ce qui se passe, à ce qui se dit, à ce qui ne se dit pas, à ce qui nous arrive, tout en étant dans l’accueil presque inconditionnel de tout ça. Ça c’est une des dix clés : comment on peut travailler son écoute, son attention.

Concrètement, il y a des clés aussi autour du « faire ensemble », avec tout un tas de réflexions qui sont développées, et qu’on développe à Sol et Civilisation, par exemple autour de la distinction entre « l’action collective » et « l’action commune », où l’action collective va consister, quand on est un groupe, à déléguer une prise de décision ou une action à une personne ou à une structure, une organisation en particulier, là où l’action commune va chercher à mobiliser chacun.e dans une action sur la base de sa volonté, de ses valeurs, de ce à quoi il a envie de contribuer. Donc on est sur des fonctionnements politiques très différents.

Il y a des choses autour de ça dans les 10 clés, et aussi autour du processus. Quand on est, on va dire, « en mode révolution relationnelle », il y a quelque chose qui se joue dans la conciliation entre le fait de se fixer un certain nombre d’objectifs dans l’action, et le fait d’être ouverts aussi à l’imprévu et à l’adaptation au fil de l’eau, au fil du chemin, pour avancer en fonction de ce qui se présente aussi à ce moment-là. Donc il y a cette idée de cheminement, avec une interview très intéressante de Fabienne Cottret qui mobilise notamment la marche à pied concrètement pour accompagner des changements.

Et puis il y a aussi des choses, dans les fameuses clés du livre, qui tournent autour de réinterroger son propre parcours, à la fois de vie mais aussi son parcours professionnel, pour, petit à petit, voir comment est-ce que l’on peut donner ou trouver du sens à cette position un peu particulière qui consiste à investir les relations. Qu’est ce qui s’est joué, pour les uns et les autres, dans son parcours de vie, dans son parcours professionnel, qui vient entrer en résonance avec cette posture-là qui met le doigt sur les relations ? Notamment, on a mené un certain nombre de d’entretiens dans un programme de recherche auprès de facilitateurs de territoires, donc ces personnes qui vont être dans cette posture de créer du lien entre des acteurs très divers pour un projet ou pour résoudre un problème, et quand on leur a demandé ce qui les avait amenés là, dans cette posture un peu particulière, ils ont presque tous fait référence à des expériences qui se sont passées dans leur enfance ou dans leur adolescence, dans la façon dont ils ont construit des relations autour d’eux au niveau familial, au niveau amical, social, etc. et comment ça les avait conduits à être dans cette posture particulière de facilitateur.

Donc c’est aussi à travers ce livre, pour moi, l’envie d’ouvrir la possibilité pour les lecteurs et lectrices de voir comment se font les liens entre leurs engagements professionnels et leur vocation ou leurs aspirations personnelles. Parce que finalement, quand on ouvre ce champ-là de la relation, on ouvre aussi la possibilité à ce qui se joue dans l’interaction entre le pro et le perso, et comment est-ce qu’on arrive finalement à trouver sa place, que ce soit à travers une activité professionnelle ou à travers des projets de vie. Trouver sa place et une articulation entre ses différentes dimensions de vie, parce que peut-être que par le passé il était plus facile ou plus évident de séparer sa sphère professionnelle et sa sphère personnelle. Aujourd’hui, les frontières sont de plus en plus floues, pour tout un tas de raisons – parce qu’on a les outils numériques et qu’on reçoit ses mails sur son téléphone personnel, parce que de plus en plus on a envie d’avoir des métiers à vocation dans lesquels on met aussi toute sa passion, toutes ses convictions – et donc du coup comment on trouve cet équilibre pour être « à l’aise » ? C’est aussi ouvrir la possibilité de ça. Pour moi ça fait partie des clés pour trouver et donner du sens à dans cette posture particulière. »

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