10 clés pour (se) relier #1-Penser les systèmes, et se penser dans les systèmes INTERVIEW

J’AI RENCONTRÉ CAMILLE ATLANI-BICHARZON…

D’après le dictionnaire Larousse : « Système, nom masculin (bas latin systema, du grec sustêma, composition) ; Ensemble d’éléments considérés dans leurs relations à l’intérieur d’un tout fonctionnant de manière unitaire. »

Nous sommes, agissons et évoluons tou.te.s, chacun.e et ensemble, dans de nombreux « systèmes » : alimentaires, familiaux, sociaux, professionnels, économiques, bancaires, politiques, agricoles, institutionnels… Nous sommes, agissons et évoluons aussi dans « le » système, au sens d’une entité globale que nous partageons tou.te.s depuis l’essor de la mondialisation et ses corollaires que sont le raccourcissement des distances et l’accélération des flux d’informations. De plus en plus, les villes et villages s’homogénéisent, les styles et les modes traversent les frontières, qu’ils soient vestimentaires, de consommation, de travail…

Se penser dans les systèmes aide à comprendre la façon dont nous influençons et sommes en retour influencé.e.s par ces systèmes et ce système. C’est se situer parmi les autres et dans le monde, pour mieux y être et mieux y agir. Comme le dit Camille Atlani-Bicharzon, cela aide à « faire le lien entre mon expérience d’individu et le monde, à prendre du recul sur mon expérience immédiate et à travailler à différentes échelles, qui se répondent et se nourrissent les unes les autres : individuelle, collective, globale ».

Cela nécessite d’expliciter un double mouvement qui s’opère aujourd’hui dans nos sociétés occidentales : d’une part, la tendance toujours croissante à « l’individualisme ». Pour certain.e.s, cela signifie que les gens, de façon générale, sont de plus en plus auto-centrés, voire narcissiques ou égoïstes, car incités à ne plus s’occuper que de leur propre personne, de leur entourage très proche et de ce qu’ils consomment… Pour d’autres, cela signifie que les individus s’émancipent, que les personnes sont (enfin) reconnues dans leur singularité et leur unicité, capables de faire évoluer leur condition sociale (du moins en théorie), bref que nous sommes passés de l’individu objet à l’individu sujet… Quoi qu’on en pense, force est de constater que l’individu occupe une place centrale dans nos représentations du monde et de la société. D’autre part, ou peut-être en réponse à cette individualisation, croît le besoin de projets communs, de coopération, de partage d’éléments d’identité, de « retrouver le sens de l’intérêt général », dans cette entité mondiale qui est devenue une réalité pour tou.te.s…

Ce double mouvement soulève de nombreuses questions :

Comment être soi, unique, dans les systèmes et dans le système ? Comment chacun peut-il prendre sa place dans un territoire, dans un groupe, dans une culture, dans une entreprise, tout en se respectant dans son unicité ? Comment les autres et le monde nous influencent-ils ? Comment les influence-t-on en retour ? Comment contribuer à notre propre développement en même temps qu’au développement du monde ? Comment définir des règles communes s’il y a autant de systèmes que d’individus ? Comment articuler les intérêts particuliers et l’intérêt général ? En définitive : Comment faire à la fois unité et diversité ?

Ce sont là des questions qui guident la pensée et l’action de Camille depuis toujours. C’est pourquoi j’ai souhaité l’interviewer…

Elise Levinson : Camille, il y a quelques années tu as inventé un terme pour te définir : « anthroponaute ». Peux-tu te présenter à travers lui ?

Camille Atlani-Bicharzon : Lorsque je suis rentrée en France après mes études à l’étranger et que j’ai commencé à lancer mes premières activités professionnelles, j’avais une problématique : comment me présenter ? Je voulais être « facilitatrice » et travailler dans le domaine agricole, mais ce terme de « facilitateur/facilitatrice » n’était pas très utilisé en France à cette époque, d’autant moins dans ce secteur professionnel. Mon sujet de prédilection était déjà celui de la transition agricole et alimentaire, je voulais que le terme que j’utiliserai pour me définir puisse inclure cette idée d’accompagnement au changement. Par ailleurs, j’avais dans mon parcours une licence en anthropologie, mais je ne me définissais pas comme « anthropologue » car mon objectif était l’action et non la recherche fondamentale ou l’enseignement. Il y avait quand même « l’anthropos », c’est-à-dire l’humain dans ma démarche. J’ai cherché un suffixe qui traduirait non pas des velléités de connaissance et d’expertise, mais d’exploration, et c’est bien ce que signifie le suffixe « naute » : la navigation.

Je navigue vers l’altérité et à travers elle, j’explore l’humain pour aider aux transitions.

Même si d’un point de vue pratique, je ne me suis jamais servi de ce terme « anthroponaute », parce qu’évidemment il ne parle pas spontanément aux personnes que je rencontre, et qu’aujourd’hui le terme « facilitatrice » me semble plus répandu et approprié, cette réflexion m’a aidée à situer et à assumer mon envie professionnelle : entrer dans les sujets agricoles et alimentaires par l’humain, et non par la technique et la science.

EL : Pourquoi cette entrée par l’humain est-elle à la fois si importante et si évidente pour toi ?

CAB : La légende familiale voudrait qu’à 4 ans, j’ai prié ma mère de me demander ce qu’est « un autre » ; et qu’une fois la question posée, j’aurais répondu « l’autre, pour lui, c’est moi ». La question de l’autre et de la variabilité des perceptions, des représentations et des visions du monde sont inscrites très profondément en moi, et ce depuis toujours. Je suis issue d’une longue lignée de chercheurs en recherche ontologique, c’est-à-dire sur ce que c’est que d’être humain. Ma mère a été anthropologue pendant des années, puis elle est devenue psychothérapeute quand elle a rencontré mon père qui l’était aussi, et ils ont ensuite construit un même chemin, une même recherche, dans la continuité de laquelle je m’inscris, appliquée aux domaines agricoles et alimentaires. Adolescente, je me souviens très bien de la crise existentielle que j’ai vécue lorsque j’ai réalisé que je ne verrai jamais le monde qu’au travers de mon propre regard.

J’ai même voulu être comédienne pour tenter d’incarner d’autres perceptions du monde : je voulais imaginer ce que serait le monde à travers les yeux d’un autre.

Tout ce qui entre en nous, tout ce que l’on reçoit, passe par notre filtre, nous n’avons pas d’autre choix que celui de voir le monde et les autres au travers de notre propre regard[1].

Comprendre cela, ça a aussi été comprendre que l’omniscience n’existe pas, alors que l’on naît et que l’on grandit dans un monde qui prétend cette omniscience, grâce à l’outil qu’est la science. Certes, la science reconnaît qu’elle ne sait pas tout, et c’est bien grâce à cela qu’elle progresse, mais il y a néanmoins encore associée à la science l’idée que cette approche cartésienne du monde est la seule qui vaille, et que le but ultime en est la recherche de La Vérité, comme si celle-ci était unique et universelle.

EL : En quoi selon toi une approche de la transition agricole et alimentaire par l’humain est complémentaire d’une approche scientifique et technique ?

CAB : Lorsque j’ai fait mes études d’agroécologie en Norvège, j’étais entourée de personnes très « alter ». J’ai adoré ces études et ces rencontres, tout était extrêmement riche, et en même temps on ne cessait de remettre en question l’agriculture conventionnelle sans jamais rencontrer les personnes qui faisaient cette agriculture-là. On parlait des pratiques, des alternatives, des aspects économiques de la transition, mais pas des agriculteurs, des agricultrices, des acteurs des filières. Cela me posait problème parce que j’avais cette préoccupation de l’autre, de la personne. Derrière le concept de l’agriculture conventionnelle, il y a des agriculteurs conventionnels ! S’ils ne produisent pas leurs propres semences, malgré tous les avantages techniques, économiques, scientifiques mis en avant par l’agroécologie, c’est bien qu’il doit y avoir une raison humaine…

C’était ma quête quand je suis rentrée en France : rencontrer et comprendre ces agriculteurs conventionnels, pour comprendre comment les aspects humains peuvent être facteurs de transitions agricoles et alimentaires.

J’ai eu la chance de faire de belles rencontres, dont un céréalier dans la Beauce à qui j’ai pu poser toutes mes questions. J’ai mieux compris son métier, les raisons de ses choix, ses pratiques.

Si on ne passe pas par l’humain, on n’a aucun moyen de remettre en question notre ignorance.

La démarche est loin d’être neutre, car il s’agit de reconnaître l’autre comme humain agissant et pensant, de lui laisser cette place-là.

EL : Il s’agit donc à la fois d’une posture intellectuelle, mais aussi de compétences très concrètes…

CAB : Je vois très fortement associée à cette préoccupation de l’autre une compétence particulière : l’empathie. Je définis l’empathie comme cette capacité à « comprendre l’autre de l’intérieur, tout en sachant qu’on n’y est pas ».

Ce « tout en sachant qu’on n’y est pas » est fondamental, parce qu’il laisse la place à l’autre. Il ne s’agit pas de dire “si j’étais à ta place”, et de donner des conseils, cela est rarement transformant. Il s’agit de faire l’effort de regarder le monde à travers les yeux de l’autre, tout en sachant que cela a ses limites, laissant ainsi à l’autre sa liberté de décision et d’action. C’est faire de la place à l’autre en soi, sans autre objectif que de faire cette place. Pour moi, c’est à la fois une valeur et une qualité que j’ai cherché à cultiver. Me nourrir des autres pour ne pas m’enfermer dans mon propre rapport au monde ; rester fascinée par la diversité des rapports au monde ; m’inspirer de la pratique thérapeutique de mes parents qui ont fondamentalement cette démarche-là, celle qui consiste à dire « dis-m’en plus, car pour l’instant je n’ai pas accès à ça ». Cette empathie fait que je suis arrêtée sur bien peu de choses, que je suis prompte à me remettre en question (un peu trop parfois !), et à remettre en question ma perception des choses.

EL : Comment fais-tu le lien entre cette approche de la relation à l’autre, et une approche systémique des phénomènes et situations agricoles et alimentaires, au-delà des relations interpersonnelles ?

CAB : Le lien se fait au niveau du sens que je donne à mon travail. Il est important pour moi que mes expériences n’en restent pas au stade d’expériences individuelles mais viennent toutes nourrir quelque chose de plus grand.

Je veux que mon activité professionnelle ait un impact sur le monde, je veux contribuer, à mon échelle, à faire advenir un monde qui m’apparaît comme meilleur. C’est-à-dire inclure ce rapport particulier à l’autre dans une transition qui ne le concerne pas lui seulement, mais les systèmes dans lesquels il évolue, et les systèmes dans lesquels nous évoluons ensemble.

Cela renvoie au défi de chacun, il me semble, à être à la fois un élément du système et à le faire bouger tout en même temps. Einstein disait « La folie, c’est de se comporter de la même manière, et de s’attendre à un résultat différent ». Mais comment agir autrement que tel qu’on l’a appris ?

Comment changer un système dont on fait partie, quoi qu’il arrive ? Où se trouvent les marges de manœuvre, les libertés ? La réponse que j’ai trouvée, c’est qu’il est vain de rechercher la liberté absolue, car celle-ci n’existe pas – nous sommes contraints par les systèmes dans lesquels nous nous trouvons – et qu’intégrer ces contraintes pour ce qu’elles sont, permet de les dépasser.

Au niveau individuel, il s’agit de développer une liberté intérieure qui intègre les contraintes. Ne pas les nier ni même se restreindre à tenter de les faire exploser, c’est-à-dire les considérer comme une limite à sa propre liberté, mais au contraire partir d’elles, et alors chercher à trouver sa liberté, la vraie liberté qui est intérieure et qui n’est pas de faire ce qu’on veut quand on veut. Au niveau des groupes, le facilitateur stratégique accompagne également cela : il invite les acteurs à prendre conscience et à accepter les contraintes du système dans lequel ils se trouvent, et à y trouver un chemin, plutôt que de rester dans « tant qu’il y aura ces contraintes on ne pourra pas bouger ».

De la même façon que face à un interlocuteur, lorsque je me demande comment l’accompagner dans un changement, je pars d’où il est, j’intègre qui il est, je m’adapte à lui sans « me poser là » en imposant qui je suis et « deal with it » – il me semble que cela est la meilleure manière de braquer les gens et de bloquer tout changement ! J’aborde le changement des systèmes avec la même approche : intégrer ces systèmes dans ce qu’ils sont, en partant d’où ils sont, pour y développer de l’adaptabilité et de la liberté d’esprit et d’action.

EL : Des transitions à l’échelle individuelle, en interactions avec des transitions à plus larges échelles, collectives, globales… Cela me fait penser à une phrase d’Emmanuel Kant, issue de Critique de la raison pratique, que j’avais apprise au lycée, en cours de philosophie. À l’époque, je la trouvais très puissante comme guide de l’action, car elle invite chacun à la responsabilité de ses actes et à leur impact global s’ils étaient démultipliés par tous. Je la voyais contributrice de la construction commune d’un « monde meilleur » comme tu dis. Ton propos aujourd’hui me conduis à la considérer sous un autre angle, à mettre en évidence le revers de sa médaille en quelque sorte. Kant écrivait : « Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée par ta volonté en une loi universelle ». Qu’en penses-tu ?

CAB : Le revers de cette médaille, et qui est loin d’être neutre, c’est ce que l’on peut appeler « l’impérialisme épistémologique », notamment occidental, à savoir l’idée que l’objectif de toute action et de toute rencontre consiste à convaincre l’autre d’adopter mon point de vue, mes idées, ma pratique… Si je vis et vois les choses de telle façon, et que cela me semble juste, il me devient nécessaire que ma vision du monde soit partagée et vécue par les autres.

Ainsi, les notions de morale et de vertu universelles ne laissent aucune place à l’autre.

Si l’on s’intéresse en particulier aux questions écologiques, on peut constater que certes, s’il n’y avait plus de 4*4 le monde irait mieux, mais est-ce souhaitable de chercher à être « parfait », et d’attendre des autres qu’ils le soient également ? Qui décide de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas ? Souhaite-t-on un monde régi par les interdictions et les contrôles (vous avez bien trié vos déchets, coupé l’eau pendant que vous vous brossiez les dents…) ?

Il ne me semble souhaitable ni de tomber dans le burn-out écologique, ni de transformer les défis écologiques en réductions de libertés humaines.

Je vous donne un exemple concret : il y a quelques années, je devais faire attention à mon budget. Je travaillais dans l’agroécologie et cela avait du sens pour moi de faire mes courses en circuits courts, mais je n’avais pas les moyens de le faire à 100%. J’ai décidé d’acheter mes fruits et légumes au marché, où je pouvais être en contact direct avec les producteurs bios, et de faire le reste de mes courses au supermarché. Quelqu’un d’autre aurait peut-être fait un autre arbitrage.

Cela me semble essentiel, en démocratie, de laisser chacun arbitrer comme il veut et comme il peut, en fonction de ce qui lui paraît juste. On attend des gens qu’ils soient responsables dans leurs choix de consommation, mais la responsabilité ne peut advenir si les choix sont imposés. Je préfère une action réfléchie et imparfaite, que soi-disant parfaite et imposée, car quels citoyens et quelles citoyennes sommes-nous dans ces cas-là ?

Vouloir « ériger la maxime de son action en une loi universelle », c’est annihiler l’autre, parce que cela signifie que chacun souhaite voir les autres être et agir comme soi-même ; c’est donc aussi empêcher la prise de responsabilité de chacun.

Comme je le disais au début de l’interview, il me semble impossible de nous extraire de notre propre regard. Mais le problème n’est pas que nous voyions le monde avec nos seuls yeux, et qu’ainsi nous pensions avant tout aux problématiques qui ont du sens dans notre compréhension spécifique et située de notre propre contexte.

Je pense que le problème, c’est que nous affirmions que, parce que nous voyons et pensons ainsi ces problématiques, alors cela vaut pour tout le monde, en oubliant que ce n’est qu’un prisme sur la réalité.

Cette prétention universaliste nous empêche d’envisager d’autres réalités, et donc d’autres voies possibles. C’est ça que j’appelle « l’impérialisme épistémologique ». C’est quelque chose dans lequel on tombe facilement, même avec la meilleure volonté du monde. Par exemple, je m’intéresse aux questions féministes, et je me suis rendu compte au fur et à mesure de mes recherches qu’elles aussi sont bien souvent traitées avec le prisme, en l’occurrence, de la catégorie sociale dans laquelle je me trouve moi-même : femme blanche, de classe sociale plutôt aisée… Cela ne signifie pas qu’il est illégitime que je m’intéresse à ces questions – après tout, je n’ai pas choisi ma couleur de peau ni le milieu social dans lequel je suis née – mais que je dois avoir conscience de ce biais. Comme l’explique Hassina Semah, sociologue et psychologue clinicienne et féministe intersectionnelle, le problème n’est pas que les féministes blanches pensent avant tout aux questions qui les affectent – c’est humain – mais qu’elles affirment que leurs problématiques à elles, qui sont très spécifiques et situées, valent pour le reste de l’humanité. À partir du moment où l’on considère, même à son insu, que l’on est la norme, alors tout ce qui diffère de nous est problématique et donc non-légitime.

Il me semble que ce penchant à considérer que « ce qui vaut pour moi vaut pour tous » est d’autant plus présent en Europe que notre développement humain s’est largement appuyé sur une approche « scientifisée » du monde. Nous avons grandi avec l’idée que la science était la meilleure (et donc la seule) approche du monde, la plus rationnelle et donc la plus juste. La science a du bon, c’est indéniable, mais elle a aussi annihilé beaucoup de savoirs. J’ai conscience que dire cela peut être vécu comme une remise en question (des vaccins par exemple) ;

c’est pour cela que pour moi, l’enjeu, encore une fois, n’est pas de remplacer une vision du monde par une autre, mais bien de faire au mieux coexister différentes visions du monde, dont l’approche scientifique.

Porter différentes voix et travailler à ce qu’elles ne se remettent pas en question les unes les autres. Nous sommes tous issus de mélanges. Il n’y a pas si longtemps que cela, dans les campagnes les gens parlaient le patois, ils incarnaient pleinement leur identité régionale, sans que cela ne remette en question leur identité française. Aujourd’hui, être français est réduit à un facteur commun que, finalement, bien peu de gens partagent. Ne pourrait-on pas envisager des conciliations, des hybridations, dans nos systèmes agricoles et alimentaires et dans nos identités ? Laisser de la place au « et », et pas seulement au « ou » …

EL : Cette quête de la cohabitation des points de vue, du respect des initiatives, en particulier dans les secteurs agricoles et alimentaires, c’est ce qui t’a amenée à t’intéresser dès ses débuts à l’agro-écologie. Comment la définis-tu et quelles sont selon toi ses spécificités ?

CAB : Ce qui m’a intéressée dans les premières années de l’agro-écologie, c’est d’une part l’approche systémique qu’en avaient ses acteurs, et d’autre part leur ambition d’inclure plutôt que d’exclure.

Je m’explique… Dans les années 2000, la recherche scientifique en agro-écologie a pris un tournant en la définissant de manière très globale comme « l’écologie du système alimentaire dans son intégralité » (Francis et al. 2003). Je trouvais intéressant ce terme d’ « écologie » employé dans les secteurs agricoles et alimentaires pour mettre l’accent sur les relations, et je trouvais intéressante l’approche de ces métiers et de ces pratiques par l’alimentation et non la production. Cela voulait dire que tout ne reposait pas seulement sur les épaules des producteurs, qu’il ne s’agissait pas seulement d’un changement de pratiques agricoles, mais que la transition agricole et alimentaire concernait, et donc devait impliquer et responsabiliser tout le monde, depuis le producteur (et même avant : ses fournisseurs) jusqu’au consommateur, en passant par les filières et tous les acteurs qui gravitent autour. Ensuite, le mouvement de l’agro-écologie m’a passionnée parce que sa mise en œuvre reposait explicitement sur la recherche d’un maximum de solutions, tenant compte des contextes, des pratiques, des spécificités de chaque territoire et de chacun. L’idée n’était pas d’élaborer une liste unique de solutions et de « bonnes pratiques » applicables partout, mais bien d’envoyer le message aux acteurs que c’était à eux de trouver leurs propres solutions, dans les limites d’un cadre inclusif et fédérateur. Ce cadre a été défini par Stephen Gliessman comme « l’application des concepts et principes écologiques à la conception et à la gestion d’agroécosystèmes durables ». Cela m’apparaissait comme véritablement ambitieux, et laissait tout en même temps tellement de liberté pour expérimenter, essayer, s’adapter ! Il s’agissait de suggérer quelques principes inspirés de la nature, comme le fait que les déchets de l’un peuvent constituer une ressource pour un autre, ou que la résilience passe par la diversité, etc., autrement dit de proposer un méta récit, non pas pour dire ce qu’il convient de faire, mais pour poser un cadre sur comment on peut le faire. Par exemple, l’agro-écologie n’est pas par principe opposée aux OGM. Elle interroge simplement : peuvent-il contribuer à davantage de durabilité ? Si oui, comment ? À quelles conditions ?

Il ne s’agit pas d’appliquer un modèle unique et des « recettes ». Cela laisse la place à chacun de partir d’où il est, de faire avec ce qu’il est, pour changer de système, et le système.

Aujourd’hui, il y a des réflexions autour de la labellisation de l’agro-écologie. Je ne suis pas pour et je trouve cela dommage, car on s’éloigne de cette approche originelle qui selon moi faisait toute sa particularité et sa force.

Pour en savoir plus sur l’agro-écologie, voir les encarts « L’agro-écologie de Camille Atlani-Bicharzon » en fin d’interview !

EL : Dans les projets que tu coordonnes et facilites, comment fais-tu concrètement pour concilier les points de vue et faire que chacun se sente à la fois unique, et inclus dans un groupe, une « communauté d’action » ?

CAB : Deux éléments me viennent en tête : la force de la rencontre « authentique » entre les personnes, et le sens que chacun peut trouver dans un projet. Je peux partager deux anecdotes pour illustrer ces deux aspects…

Concernant la rencontre entre personnes, je pourrais dire qu’il y a une différence fondamentale entre « rencontrer pour convaincre », et « rencontrer pour partager ». Je me souviens d’un moment particulièrement marquant de ma vie, qui illustre bien cela. Il y a quelques années, je suis allée sur un chantier de plantation de haies. C’était dans le Gâtinais, on était tout un groupe, réparti en binômes, et on devait faire une tâche répétitive, désherber et enlever le plastique avant la plantation. Je me suis retrouvée avec un jeune qui était le garde-chasse du domaine, quelqu’un que j’aurais eu peu de chance de rencontrer par ailleurs. J’ai réalisé que c’était le genre de moment où l’on arrive sans a priori puisque n’importe qui peut participer à ce genre de chantier, il n’y a aucun présupposé politique ou social… et où l’on doit passer plusieurs heures avec une personne inconnue, donc on ne peut pas se contenter des quelques phrases basiques de début de conversation… Et cela ouvre à tout un univers ! Tout l’univers de l’autre, pas fait seulement de pratiques et de techniques, mais aussi toute une façon singulière d’approcher le monde. Nous n’avions à nous convaincre mutuellement de rien, nous n’avions pas de décision à prendre ou de projets à faire, nous avions juste l’opportunité de nous écouter et de nous comprendre.

Je me suis longtemps demandé comment il serait possible d’organiser un système qui permette cela à grande échelle… Je n’ai pas encore trouvé, mais pour moi il est là l’espace du changement, dans « la rencontre pour la rencontre », pour le partage, pour la connaissance mutuelle.

Les discours qui cherchent à convaincre, à contraindre ou à faire peur, atteignent leurs limites. Lorsque je travaille avec des acteurs du secteur agricole, je ressens très fortement ce manque de relation « pour la relation ». Des initiatives qui visent à redonner un visage à l’agriculture peuvent vite être perçues comme du marketing.

Du côté des producteurs comme du côté des consommateurs, les gens ont besoin du lien, de se connaître, de se « sentir », de savoir si c’est authentique ou pas. La rencontre approfondie, presque intime, est primordiale, et aujourd’hui il existe peu de lieux et de modalités pour cela.

Concernant le sens des projets, il m’est apparu lors de ma première expérience professionnelle comme un levier très fort d’engagement dans l’action. Depuis, je cherche toujours à donner du sens à chaque brique de travail d’un projet, aussi petite soit-elle. À cette époque, je travaillais dans une ONG de défense des droits des peuples indigènes, et je devais augmenter sa couverture médiatique partout dans le monde, sans budget mais avec la participation de 16 stagiaires et des bureaux étrangers. Ces personnes ne se rencontraient pas, les stagiaires n’étaient pas payés, il y avait des défauts de communication entre la maison mère et les autres bureaux… je me suis très tôt demandé où se trouverait leur motivation ! J’ai travaillé avec chacun d’entre eux pour comprendre leur situation, leurs besoins, ce qui était ou non possible et souhaitable pour eux.

Pour ces deux publics je me suis rendu compte que c’était en recherchant avec eux le sens qu’ils avaient envie de donner à leur travail que les choses se sont débloquées, en faisant que chacun trouve du sens dans son activité, lié à l’activité elle-même, mais aussi au fait qu’elle s’inclut dans un tout, c’est-à-dire que chacun se sente agir dans une communauté de pratique qui fait avancer les choses.

Cela nécessite de prendre le temps d’écouter et d’accompagner chacun, et de toujours chercher à articuler cela avec les ambitions et les enjeux de la structure. En l’occurrence, proposer un cadre qui convienne à la maison mère, et qui laisse à chacun de la place à ses spécificités. On a doublé la couverture médiatique en un an.

EL : Pour finir, as-tu un conseil supplémentaire pour les facilitateurs / coordinateurs / animateurs de projets multi-acteurs qui nous lisent ?

CAB : Il me semble que cet échange met en évidence une compétence essentielle de ces métiers, que personnellement j’ai touché du doigt dès mes études, comme étape obligatoire de toute recherche anthropologique : faire le point sur où l’on en est par rapport au sujet sur lequel on travaille (et/ou le territoire dans lequel on travaille, et/ou les personnes avec qui l’on travaille…). À quoi ce sujet et cette situations me renvoient-ils ? Que réveillent-ils et suscitent-ils en moi ? Quelle est la part objective, et la part subjective, que j’apporte à cette situation et à ce projet ?

Il me semble essentiel de faire régulièrement le point sur ses propres a priori et présupposés, de mesurer l’impact de sa propre subjectivité sur l’objet de recherche.

C’est une forme d’honnêteté à avoir vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis des personnes avec qui et pour qui on travaille. C’est parfois difficile ou inconfortable, parce que nous sommes dans des situations où nous agissons et pensons en même temps. Je vois cela comme des allers-retours en soi. Je le vis très fort dans mon métier, par exemple lors d’un face-à-face avec un acteur agricole. J’accueille la vision du monde de la personne, puis j’ai ce réflexe de la remettre en question avec la mienne, puis je me questionne : en quoi ma vision serait plus adaptée que la sienne ? Et enfin, je me demande comment tout cela peut cohabiter…

Cette réflexivité me paraît essentielle, parce que faire exister des projets portés par des personnes qui ont des ambitions et des contraintes plurielles, et parfois si différentes, ne peut se faire sans déjà prendre conscience de la coexistence de ces différentes réalités.

Il n’y a pas beaucoup de place dans nos sociétés pour cela. Pour moi, le défi du facilitateur est là : accompagner le changement dans la conscience d’où chacun part, des systèmes dans lesquels chacun évolue, en respectant cela et en se respectant soi-même en tant qu’acteur du changement.

Pour aller plus loin, Camille vous suggère de
découvrir deux podcasts :

SISMIQUE, en particulier l’épisode #34, qui interviewe Jocelin Morisson et s’intitule « Interroger notre rapport au réel » (janvier 2020). Quelques mots de présentation extrait de sismique.fr :

« Jocelin Morisson fait partie de ceux qui cherchent des réponses du côté de notre rapport au monde, en mélangeant de manière originale science et spiritualité, et en posant l’hypothèse que nous ne percevons qu’une partie du réel et que la science n’a pas encore réponse à tout ou du moins, ne pose pas toujours les bonnes questions. Cet épisode un peu atypique, voire polémique pour certains, et doit donc être vu comme une introduction à des notions parfois complexes qui méritent d’être creusées, mais en prenant garde à ne pas tomber dans une lecture « new-age » du réel. Jocelin Morisson est journaliste scientifique depuis plus de vingt ans et a collaboré à de nombreuses revues et magazines (Inexploré, Nexus, Le Monde des religions, Nouvelles Clés, La Vie, VSD hors-série). Il est également auteur et coauteur de plusieurs ouvrages sur le thème des états modifiés de conscience et de la parapsychologie scientifique. »

KIFFE TA RACE (à cette adresse), qui traite les questions raciales et de minorités, parce que, pour reprendre les mots de Camille : « Ce podcast est très éloigné de mes préoccupations professionnelles et, pourtant, il ne cesse de m’inspirer. En « sautant à pieds joints dans les questions raciales » comme le dit son slogan, il donne accès à une myriade de problématiques et réalités vécues par une grande partie de la population. Il m’aide à « ne pas m’enfermer dans mon propre regard » comme je le disais plus haut, à remettre en question mon ignorance… Mais aussi, de manière plus importante, il m’interroge sur mon propre rôle dans la société telle qu’elle est aujourd’hui. Grâce à ce podcast, je prends conscience de mes privilèges en tant que blanche – des privilèges que je ne demande pas et qui pourtant, par leur existence-même, participent à perpétuer le système socialement et structurellement racialisé dans lequel j’évolue. Ce qui est très intéressant, c’est que la réflexion personnelle – voire intime – que suscite ce podcast en m’aidant à comprendre la façon dont j’influence et suis en retour influencée par le système, m’inspire bien souvent des parallèles très riches avec mon sujet de prédilection qu’est la transition agricole et alimentaire. »

L’agro-écologie de Camille Atlani-Bicharzon 1/2
(rédigé en 2014) :

« Il y a maintenant onze ans, seize pionniers de l’Agroécologie à travers le monde se réunissaient pour publier un article qui a marqué un tournant dans l’évolution de ce champ.

Intitulé Agroécologie: l’Écologie du Système Alimentaire (Francis et al. 2003), il propose de passer la porte de la ferme – ou pis, de la simple parcelle – pour réinscrire la production agricole dans son territoire, dans ses filières, qu’elles soient locales ou mondiales. Bien conscients que la durabilité de notre système alimentaire ne peut peser uniquement sur les épaules des producteurs dans un monde complexe et globalisé, ils proposent ainsi d’étendre à tout le système alimentaire la définition alors acceptée de l’Agroécologie (l’application des concepts et principes écologiques à la conception et à la gestion d’agroécosystèmes durables).

L’Agroécologie est un champ jeune, encore en construction, encore en création – encore en exaltation. Cette jeunesse représente un facteur d’innovation incroyable car chaque projet, chaque étude, chaque expérience participe à son développement. Ce qui rend la définition de Francis et al. si porteuse est que, tout en ancrant une définition de l’Agroécologie, elle ouvre le champ à une multitude de déclinaisons possibles dépendant des lieux, des gens, des rencontres qui la portent. L’Agroécologie se conjugue au pluriel.

À l’heure où l’Agroécologie est en France sur toutes les bouches du fait de son inclusion dans la politique agricole gouvernementale, il semble important de promouvoir cette vision-là de l’Agroécologie, une vision intégrante et non excluante, mais qui va au-delà de la simple pratique agricole limitée à la seule échelle de la ferme. Cette Agroécologie-là est porteuse d’un nouvel élan, ancré dans la réalité quotidienne des acteurs du système alimentaire. Elle n’oppose plus le rural et l’environnemental, l’économique et le social, mais suggère de les percevoir comme les pièces intriquées d’un tout qui nous permet de nourrir la vie de l’homme.

Elle représente un terrain d’innovation qui, loin d’être un retour en arrière, propose de réinventer nos systèmes alimentaires pour qu’ils soient économiquement, socialement et écologiquement plus inscrits dans une permanence souple et efficiente. »

L’agro-écologie de Camille Atlani-Bicharzon 2/2 :
Pour une Agroécologie Fédératrice (2014)

« Mon métier n’existe pas. Nous sommes beaucoup à vouloir l’inventer. Tout comme ce à quoi il s’applique – l’agroécologie – il est défini par son objectif bien plus que par les moyens mis en œuvre pour l’atteindre. En effet, qu’elle soit comprise comme une pratique agricole, un mouvement social ou une discipline scientifique, qu’elle s’applique à l’échelle de la ferme, du territoire ou de toute la filière, l’agroécologie se retrouve toujours dans l’objectif qui la porte : la transition vers des systèmes alimentaires écologiquement, économiquement et socialement plus durables. Définir l’agroécologie ainsi, par un objectif plutôt que par des moyens, comme un processus (« transition ») plutôt que comme une fin en soi, permet de sortir des oppositions stériles et des débats d’opinion. En effet, si les moyens ne sont pas imposés, alors tous les moyens sont bons pour atteindre cet objectif.

Il ne s’agit plus d’une bataille partisane entre le bio et l’agriculture conventionnelle ou entre les circuits courts et l’industrie. Il s’agit de développer des moyens multiples, adaptés au paysage écologique, économique, social et technique de chaque système alimentaire.

De s’inspirer d’outils développés ailleurs, adaptés à d’autres contextes – que ce soit dans le Sud de la France, en Norvège ou au Pérou – pour modeler ses propres outils. Les moyens de communication actuels permettent cette dissémination, mais dans une optique d’inspiration plutôt que de solution à appliquer telle quelle. C’est ainsi que l’agroécologie est un creuset d’innovation fédérateur. Il n’y a pas de solution « miracle », unique. Les moyens inventés pour opérer cette transition vers des systèmes alimentaires plus durables sont tout à la fois techniques et des changements de modes de vie, tout à la fois appliqués aux circuits courts et aux filières dans leur intégralité. Tout à la fois l’affaire des économistes et des sociologues, des agriculteurs et des consommateurs, des agronomes et des politiques, des distributeurs et des chercheurs.

Mon métier n’est pas défini par l’expertise qu’il nécessite ou par les compétences qu’il met en œuvre. Il est défini par son objectif – la transition vers des systèmes alimentaires plus durables – et par la position que celui-ci impose. Une position de transversalité prenant en compte les nécessités économiques, écologiques et sociales de chaque système. Une position d’ouverture, à l’écoute de la diversité des désirs et des visions du monde (« worldviews ») de ceux qui y participent. Une position de collaboration plutôt que d’antagonisme. Collaborer, co-laborare, « labourer avec », travailler ensemble. Mon métier n’existe pas. Nous sommes beaucoup à vouloir l’inventer.

Je suis agroécologiste. »


[1] Camille me rappelle à cette occasion la fable des aveugles et de l’éléphant, illustrant d’une part la variabilité des perceptions du monde, et donc l’existence de réalités (au pluriel) plutôt que d’une réalité, et d’autre part l’impossibilité humaine d’accéder à la complétude des choses (l’éléphant ne se réduit pas à une trompe + des pattes + une queue + des oreilles…). Cette fable est racontée ci-dessous.

La fable des aveugles et de l’éléphant

« Six chercheurs d’Hindoustan, Tous avides de savoir, S’en allèrent voir l’éléphant, Espérant tous, dans le noir (Ils étaient aveugles, les pauvres !), S’en faire quand même une notion, Grâce à leur don d’observation. S’approchant de la bête, Le premier arrivé se cogne À son flanc vaste et puissant. Il trébuche, jure et braille : « Dieu du ciel, mais cet éléphant, C’est une véritable muraille ! » Le deuxième palpe une défense, S’écrit : « Holà ! Qu’est-ce que c’est ? Si rond, si pointu ? J’en mettrai ma main au feu, Ce que j’ai là, sous les yeux, Ressemble bien à un épieu ! » Le troisième s’approche à son tour, Et rencontre, en tâtonnant, La trompe remuante de l’animal, Se tortillant dans sa main. « Il me semble que cet éléphant Ressemble à un serpent ! » Le quatrième tend la main Et trouve un genou sur sa route. « Mes amis, pour moi, aucun doute ! Il n’y a là rien d’étonnant. Il est bien clair que l’éléphant, C’est tout à fait comme un pin ! » Le cinquième tombe sur l’oreille Et s’écrie : « À quoi bon le nier ? Sans y voir je peux vous dire À quoi cette bête est pareille. Un éléphant ? Quelle merveille ! C’est tout comme un éventail ! » À peine approche-t-il de l’animal Que, s’accrochant à la queue, Le sixième, sans penser à mal, Affirme d’un ton solennel : « Cette chose merveilleuse que nous avons là Est tout à fait comme une ficelle ! » Et ainsi, nos chercheurs d’Hindoustan Se disputaient aveuglément, Chacun défendant son opinion, Certain d’être dans le vrai. Chacun avait certes un peu raison… Mais tous pataugeaient dans l’erreur ! »

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