Chers lecteurs, chères lectrices, ou plutôt devrais-je dire chers auditeurs, chères auditrices ! J’ai l’immense plaisir de partager aujourd’hui avec vous le premier article audio du site de la révolution relationnelle. J’y mets en valeur deux textes rédigés par Simone Atlani, psychothérapeute, qui nous interpelle sur l’importance qu’il y a à être – être soi, être avec l’autre, être dans le monde – pour relever les défis écologiques et sociaux de notre 21e siècle. Et comment la matière vivante, autour de nous et en nous, peut nous y aider…
Merci à elle de partager avec nous sa pensée.
Bonne écoute !
Éloge d’une reconnexion de l’être et de la matière
Un article du site www.revolution-relationnelle.com
Réalisation et lecture proposées par Elise Levinson
Musique : www.dreamcatchermusic.fr
Pour celles et ceux qui préfèrent le support écrit au support audio, voici le texte dans son intégralité :
L’humus a permis l’émergence de la vie sur terre, végétale, animale, humaine… J’ai été frappée par la racine commune entre « humus » et « humain » en prenant conscience que l’un ne va pas sans l’autre, sans humus, pas d’humain…
Or, l’humain s’est bien vite posé en prédateur obstiné de l’humus, cette enveloppe, on pourrait dire cette peau si mince de la planète. Il l’a crevée, labourée, dénudée, la livrant à l’érosion du vent et au ruissellement des eaux.
Dès l’instant où les populations se sont sédentarisées, elles ont pu se développer, et certaines d’entre elles sont même devenues des civilisations : des Mésopotamiens aux Grecs, aux Romains en passant par les Mayas et bien d’autres, elles n’ont eu de cesse d’exploiter l’humus jusqu’à son épuisement.
Les civilisations passées en ont payé le prix fort. Elles se sont succédées sans prendre conscience qu’elles mouraient et disparaissaient en même temps que leur humus natal. L’histoire s’est reproduite, et se reproduit une fois encore avec notre civilisation occidentale, si « matérialiste » et si radicalement coupée de la matière dont elle est pourtant constituée. Mais cette histoire prend aujourd’hui une dimension globale qui implique la planète entière et met en péril l’existence de l’humanité sur terre.
Alors… Humus, humain, humanité… et humilité, encore une racine commune.
Comment recevoir en nous-même comme nous-même cet humus dont nous sommes issus ? Comment le rapatrier en nous avec son univers intime fait de mycorhizes, de vers de terre, de microbes, de minéraux broyés ; fait de fertilité, de mort et de décomposition, tout ce monde obstinément à l’œuvre, employé à un unique projet : la vie.
La vie s’est faite dans un opportunisme effréné de la matière, sans opinion, sans croyance, sans se protéger de rien, chemin d’organisation d’elle-même, chemin d’incomplétude qui propose tout de même toujours le complet de quelque chose, chemin hasardeux fait de rencontres tumultueuses et d’interactions créatrices. La vie sous toutes ses formes.
L’humanité fait partie de ce projet grandiose. La possibilité de l’homme a donc toujours été là, au cœur de la matière, toute occupée à inventer, à garantir et perpétuer le vivant.
Les humains se sont perpétués et multipliés à tout va jusqu’à coloniser la planète entière. Ils l’ont fait avec le même enthousiasme, le même opportunisme que celui de la matière initiale. Ils ont dû pour cela se dissocier de cette matière en l’opposant à l’esprit, leur esprit. D’une certaine façon, ils s’en sont dépossédés. Il leur a fallu s’en déposséder en eux-mêmes pour pouvoir la posséder « en dehors », afin d’en utiliser toutes les ressources possibles.
Nous le savons à présent, l’humus se meurt, la fertilité de la terre se meurt, ce qui met en péril la survie de l’homme sur la planète. Aujourd’hui, à cette heure même, l’Amazonie en feu vient nous frapper comme un hurlement d’alerte et d’effroi. Comment ne pas être saisi par un sentiment d’urgence à retrouver le chemin de cet humus dont nous sommes issus ? Il nous faut entrevoir que « être », c’est aussi être cette matière-là, c’est aussi l’habiter en soi comme soi.
Et me voilà ramenée à mes questions de toujours, aux fondamentaux de l’abandon corporel… « le risque d’être soi », « se recevoir », qu’est-ce que c’est le « ce » de « ce qui est là », qu’est-ce que c’est « soi », que recouvre le se de « se recevoir » ? Comment oser dire « je suis » au présent de tout ce temps accumulé ?
C’est là, pour moi, une piste fondamentale qui a profondément imprimé ma pratique.
Simone Atlani mène en effet depuis de nombreuses années une recherche dite « ontologique ». « Ontologique » désigne ce qui est relatif à l’ontologie, définie comme art, discipline ou science qui s’interroge sur l’être. Qu’est-ce qu’être ? Qu’est-ce que l’être ? sont les questions qui guident toute recherche ontologique. Pour la psychothérapeute qu’est Simone Atlani, cette recherche ontologique conduit notamment à questionner ce qu’est le thérapeute dans la thérapie, et la façon dont la relation du thérapeute à lui-même (ou elle-même), et la relation du thérapeute à l’autre (le patient), conditionne la qualité et la réussite de l’accompagnement.
Être plutôt que faire, comprendre plutôt que savoir, sont selon elle des conditions indispensables à la position du thérapeute. Et cela constitue une révolution dans le domaine de la psychothérapie. Cela signifie de porter attention au thérapeute et à sa relation au patient tout autant qu’au patient lui-même, de ne plus considérer ce dernier comme seul objet du travail. La subjectivité du thérapeute apparaît ainsi comme élément de l’équation, raison pour laquelle Simone Atlani opère une comparaison entre cette révolution thérapeutique et la révolution scientifique à l’œuvre depuis a découverte des phénomènes quantiques. Ressemblances et différences qui l’aident à préciser cette « position » thérapeutique.
La science est liée depuis toujours à la philosophie. De Démocrite, mort en 370 avant J.C., jusqu’à nos physiciens d’aujourd’hui, la pensée philosophique a inspiré et nourri la science, qui l’a souvent inspirée et nourrie à son tour.
Le penseur s’est très tôt résolu à couper son propre corps humain en deux… ceci est l’esprit, cela est la matière. Il a ainsi défini deux objets de recherche pour les étudier et les explorer le plus rigoureusement possible, animé d’un causalisme fécond. Il s’est libéré des contraintes paradoxales du « un » pour instituer la Science et la Philosophie en institutions capables de lui offrir le cadre d’exploration du « multiple ».
La physique quantique est venue nous bousculer et joyeusement déboulonner la case institutionnelle où nous avions confinée la recherche scientifique. Ses chercheurs ont pris une position bien proche de la nôtre et tout remis en question : les croyances, les vérités établies, les a priori conceptuels tout autant que sensoriels. Dans une certaine mesure, ils ont même été jusqu’à remettre en cause la causalité elle-même… De plus, leurs formulations, souvent paradoxales et même poétiques semblent rejoindre les nôtres jusqu’à la superposition.
La physique quantique repousse son champ de recherche à des profondeurs stupéfiantes. Elle traque la vie jusque dans ses origines. S’affranchissant de la causalité inscrite dans la physique newtonienne et de son « déterminisme mécaniste » (Merci Kant), elle imagine des outils pour se propulser en deça de la causalité et recréer les conditions d’apparition de la vie… Imaginez-donc ! Le collisionneur de particules du CERN qui vient « prouver » sans relâche que la vie, c’est la rencontre, l’interaction, l’interdépendance et… l’ambivalence !
Wolfgang Pauli, un physicien autrichien, le père du « principe d’exclusion » en mécanique quantique, considère que « La microphysique fait à nouveau entrer en scène l’observateur, petit maître de la création au sein de son microcosme, qui possède la faculté de choisir et d’influencer de manière fondamentalement incontrôlée l’objet observé. N’y a-t-il alors peut-être aussi des phénomènes qui dépendent de la personne qui les observe ? ».
L’ambition des Mathématiciens n’est pas moindre. Ils n’ont besoin d’aucune instrumentation extérieure, on pourrait dire qu’ils ont l’extérieur inclus. Et ils cherchent à extirper d’eux-mêmes un modèle mathématique, une sorte de formule magique qui « expliquerait » le tout de l’univers… Comme le pose un mathématicien anglais de génie, Stephen Hawking, ils cherchent une « Théorie du tout ».
Wolfgang Pauli, quant à lui, poursuivait « l’idée d’un monde unitaire comprenant à la fois les dimensions physiques et psychiques, la distinction n’ayant pas plus de sens que la distinction entre physique et chimie ». Et il faut les entendre ces fous de la vie, nous parler des conditions intérieures préalables à leur recherche… Ils nous parlent d’humilité profonde, de « vérité dont le contraire est une autre vérité », de leur disposition à apprendre plutôt qu’à savoir…
Mais ils ont une humilité bien brillante et surtout riche d’outils conceptuels méthodologiques, théoriques. Ils sont riches de leurs compétences, qui sont des compétences bien puissantes… Pauli lui-même parlait de « l’observateur » comme d’un « petit maître de la création ». Les chercheurs scientifiques ont en effet un petit côté démiurge qui les inscrit tout de même dans un certain pouvoir et les pose dans un cadre institutionnel, la science. Pour audacieux qu’ils soient, leur lieu de déploiement est l’institution.
La science d’aujourd’hui a désinstitué bien des choses, mais elle devra toujours passer à l’acte ce qu’elle imagine vrai pour pouvoir le prouver. Comment regretter qu’elle le fasse… Elle nous donne tant de rêves et de miracles…
La science, même celle qui, aujourd’hui, intègre la subjectivité de l’observateur, doit incontournablement passer par l’objectivation pour pouvoir avancer. Même si elle s’attache à observer l’homme, elle doit l’objectiver pour pouvoir poursuivre son étude. Le chercheur scientifique, même s’il imagine et théorise à partir de son imaginaire, de son intériorité, pose « un objet » à sa recherche et il le pose nécessairement à l’extérieur de lui.
Les « cherchants ontologiques », eux, n’ont rien, rien qu’eux-mêmes, rien que leur subjectivité à habiter. Leur collisionneur de particule est intérieur, c’est la position ontologique.
– Là où le chercheur scientifique, toujours friand de réfutations fertiles, est obligé de passer à l’acte la vérité qu’il propose, le cherchant ontologique n’a rien à réfuter, ni rien à prouver. Il a juste à ne rien « faire », à surtout ne jamais passer à l’acte tout ce qui, en lui, a si fortement le mouvement de le faire. Il doit s’interdire d’appuyer sa marche sur une quelconque vérité pour avancer sur cette terre causale qu’il est pourtant aussi.
– Là où la physique quantique rejoint l’en deça de la causalité dans l’infiniment petit de l’univers, la position ontologique nous projette au-delà de la causalité, dans l’expérience paradoxale où le temps, précieux outil conceptuel, s’évanouit, nous permettant d’être au présent de l’univers, celui d’un point, celui d’un grain. Momentanément, ce point, ce grain, c’est le cherchant qui y consent.
– Là où le chercheur scientifique énonce, le cherchant ontologique nomme.
– Là où les scientifiques cherchent à formuler complètement la vie, nous cherchons à être au complet de ce qui est, en nous-même comme nous-même.
A « être », juste à être.
La position ontologique exige de ne se protéger de rien. Elle exige de s’ouvrir à tout de soi, comme c’est et comme étant soi. Elle exige de ne pas prendre pour vérité ce qui est vécu en relation avec un autre, les autres et toute chose ; de ne même pas ériger en vérité ce que nous savons-de nous-même. Elle exige de se mettre en position d’apprendre et non de savoir. Elle exige d’habiter comme telle notre subjectivité constitutive. Il s’agit de se mettre en disposition de ne rien rejeter de l’expérience que nous faisons dans la relation à un autre, aux autres et à toute chose, de ne rien exclure et de ne rien conclure…
La position ontologique ne nie pas la causalité, mais elle exige d’assumer rigoureusement tous nos ressentis, non comme une vérité sur nous-même et sur l’autre, mais comme le fruit de la subjectivité que nous sommes constitutivement et qui témoigne de la façon spécifique dont nous sommes organisés. Car notre subjectivité constitutive est tout aussi unique que notre génome, autrement dit aussi unique que l’encyclopédie de nous-même en tant qu’individu, aussi particulière que notre « matériel génétique ».
Il est ici question d’assumer que nous sommes « un seul » à vivre de cette façon particulière et que nous sommes l’unique habitant du monde que nous percevons et interprétons, du monde que nous voyons. Il s’agit, pour nous, d’être cette organisation singulière et de la vivre comme notre maison particulière.
Aurions-nous l’idée de considérer notre maison comme la seule vraie maison ?
Lorsque je m’aventure à poser une question aussi stupide, il me semble que cela fait une place intérieure pour toutes les sortes de maisons possibles, du château à la masure, de la yourte d’Asie Centrale à la case africaine, du Tipi d’Amérique du Nord aux trois-pièces-cuisine-salle de bain de nos villes…
Vivre ma maison comme juste ma maison, ouvre la porte à toutes les maisons, la maison de chacun, la maison de tous. Cette position, nous demandant de ne nous protéger de rien, nous pose dans le plus démuni de nous-même. Elle nous rend infiniment vulnérable.
L’humain, point d’arrivée spécifique de la matière, n’a pu faire son chemin que dans la causalité, mais il porte en lui la possibilité ontologique d’ouvrir un espace au-delà de la causalité, un espace où se recevoir au complet. Cette ouverture à lui-même ouvre simultanément le même espace pour chaque autre, pour tous les autres et toutes choses.
La profusion de la vie nous apparaît alors. Chacun peut un instant se sentir « à la maison », en paix avec soi-même, en paix avec le monde, sentir se concentrer les milliards d’années du devenu de la matière dans une singulière contraction de l’espace, un point minuscule, un infime grain : celui d’un corps d’humain. Le temps tout entier au présent de l’être.
La position, ce mouvement onto-cherchant, donne lieu à la seule compétence que nous ayons face à ceux qui font appel à nous. C’est une compétence sans théorie et sans nom ; une compétence qui s’évanouirait totalement si nous en faisions une théorie et cherchions à la faire entrer dans un cadre institutionnel, si nous cherchions à en faire une science.
La position ouvre à une expérience. Tous les temps et tous les espaces y sont contenus, tous les humains, du premier jusqu’au dernier y sont aussi. Elle décloisonne et nous fait basculer hors de l’institution, hors de toutes les institutions.
C’est l’expérience de la profusion de la vie, du mouvement de la vie comme elle est… sans opinion, souvent sans égards, uniquement occupée à saisir toutes les opportunités pour en faire de la vie, incroyablement habile à rendre fertiles toutes les interactions, toutes les rencontres, aussi improbables soient-elles…c’est l’expérience de l’humus que nous sommes. L’urgence est là. Poursuivre le chemin de la subjectivité jusqu’à l’humus dont nous sommes issus. Mettre en œuvre la spécificité de l’homme pour prendre en charge sa restauration, sa possibilité de fertilité et de vie dont dépend notre propre survie et donc notre propre fertilité. Poursuivre ce chemin exige de retrouver la qualité d’être de la matière, de sortir de la dichotomie matière/esprit, d’intégrer en nous la matière comme de l’être et non comme de l’avoir. Quittant l’avoir, le faire et la causalité, espoirs et désespoirs peuvent se dissoudre dans l’espérance, celle d’être juste de la vie. De la vie comme elle est dans son mouvement, consubstantielle à elle-même, sans cause mais ouvrant sur la possibilité d’être.
Juste être.
Je remercie vivement Simone de m’avoir fait découvrir sa pensée, et d’avoir accepté que je la diffuse sous cette forme. Je vous remercie, vous auditeurs et auditrices, de votre écoute. Si vous l’appréciez, n’hésitez pas à faire connaître le site www.revolution-relationnelle.com autour de vous.
Si les réflexions présentées dans cette lecture vous intéressent particulièrement, je vous recommande la lecture de l’ouvrage « Le développement de la personne », de Carl Ransom Rogers. Je termine avec une citation qui en est extraite :
« Le vécu subjectif d’une personne est digne du plus grand respect, même si à d’autres personnes il paraît bizarre ou mal fondé. »
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