J’AI TOUCHÉ LA FOLIE

Vous écrire en cette fin d’année 2025, particulière…

J’ai touché la folie. Elle a dit viens, elle a dit prie. Et crie. Alors j’ai écrit. 

Quelle année ! Année de toutes les intensités, grand écart brouillard entre les télomères, d’un côté la chaleur des joies brutes et de l’autre le vide des fosses paniques, vraies, si vraies, pures plongées océaniques, j’ai appris. Que le vivant vibrant peut nous emmener loin, dans le monde du trop. C’est beau. C’est costaud. Nombreux sont ceux qui rebroussent chemin. J’ai vécu. L’intensité des hugs jusqu’au milieu des os, et le rejet jusqu’au milieu des eaux. Jamais tant ri, pleuré, aimé, désespéré… Rêves brisés et rêves réalisés, dans une même coquille de voix. J’ai même chanté.

Rocheuse – 21*29,7cm – encre de Chine sur papier – ibrida folia

Sur la balançoire qui courbe, infatigable, d’un extrême à un autre, de la raison à la passion – mon dieu quel lieu commun, précise ! C’est bien plus fin… mais lieu si commun que vous le voyez bien – j’ai bien failli tomber. Je suis tombée. Écorchée mains et les genoux, et même les cailloux. Quelque chose s’est fendu, cassé, des illusions perdues, désillusions pendues, bien visibles, flottantes inaccessibles à la branche nue de l’arbre. Imperturbable.

Dans le monde du trop j’ai touché l’euphorie, farouche elle s’est enfuie. Entêtée j’ai invité, encore, les vibrations, elles ont répondu oui mais ont posé leur condition. Laisse entrer, pénétrer, j’ai dit oui et elles ont embarqué une dissociation, impossible à lutter je me suis dissolue, trop de voix dans ma tête, envahie, de sensations squelette, délitée.

Il fallut prendre de la hauteur. Sur la balançoire je me suis redressée. Dans l’arbre j’ai grimpé. J’ai visité la triple arrière-grand-mère et toutes celles d’après. Toutes celles autour de moi, et j’ai eu tant de peine. J’ai eu tant de colère. J’ai appris. Que l’abandon des hommes est légion, et leur pardon aussi rare que le courage des femmes est incommensurable. L’absence de compassion tabasse et les meufs sont badass. Pardon messieurs, je vous aime tellement et c’est bien là le drame, vous avez tant, encore, à parcourir. Apprendre à réparer. Apprendre à écouter. À ça il n’y a rien à s’offusquer, répondre simplement « tu as raison ».

Dans le monde du trop, le tout et son contraire rechignent à se donner la main. Entre eux, ça craint, et pourtant il n’y a nulle part d’autre où se placer. Ligne de crête d’ados où tenir la corde, mais pas la tendue, pitié, pas l’attendue, plutôt la corde tendre comme dirait l’ami, la corde qui relie la branche aux corps perchés des balançoires, qui caresse les lignes de la main, les lignes de hanches et chuchote que tout ira bien. On sait que c’est faux mais s’il ne reste rien, plus rien, il reste bien les mots. 

À eux je me suis accrochée. À la voix du tiens bon, toujours, tu es sur le chemin, toujours, regarde, toujours, elle est là et elle aussi, toujours, elle écoute et elle dit que dans les brèches perce le solaire et au pire, toujours, tu es là pour toi-même, toujours. S’il t’abandonne tu ne t’abandonneras pas. N’oublie jamais cela. J’ai touché la folie, j’ai bu des litres de consolation et petit à petit, elle est devenue mon amie.

« FOU, FOLLE, n. et adj. : issu du latin classique follis qui signifie ‘soufflet pour le feu' ». Fff-fff-fff. Une folie pour raviver les braises, celles du vivant qui s’éteind, nous dit le philosophe. C’est nécessaire, ça fout les jetons. Je souffle de toutes mes traces sur ce qu’il reste de vibrant, de reliant, de transformant. De poésie, en somme. À moins que ce ne soit l’inverse. Tout se tient et pourtant rien n’est clair. Au cœur du rouage mécanique de la rationalité, hégémonie science et maîtrise et tiens-toi droit•e, nécessaires, oui nécessaires mais si seuls, délétères, la folle poésie est grain de sable autant qu’issue pour s’en sortir. Une douceur. Exigeante. Un absolu. Un viens s’il te plaît on essaie. Une liberté. 

J’avais soif de rencontres, une rivière m’a abreuvée. J’avais soif d’amour, un désert s’est présenté. Au milieu, un puits. Dans le puits, des bruits. Des voix. Des mots heccéités (cherchez ce mot, il est chanmé). Des récits singuliers. J’ai tant aimé accompagner par et dans l’écriture, j’ai aimé écouter, qu’on me fasse la lecture, j’ai aimé tous les textes que vous m’avez lus, que vous vous êtes écrits que vous avez livrés. J’ai aimé être lue.

En deux mots pros il y a eu : des séances individuelles par les mots, des ateliers dingos, une plume d’oiseau déposée sur un coin de page web, un conte d’animaux peuplé, de l’intime et du XXL, deux expos colorées, et j’en oublie, c’est tout ici : réalisations 2025 et un peu partout 

Écrire le vivant, en corps et tous jours. Malgré tout.

À l’heure du repos de l’hiver et du séchage des fleurs, un merci chaleureux à toutes les personnes géniales avec qui j’ai travaillé cette année et/ou parlé poésie, vivant, amour, développement entrepreneurial… 

Amandine, Cédric, Jérôme L., Brigitte CG., Gilles C., Laëtitia, Christine L., Anne-Gaël, Anne, Loïc, Marie, Fabienne B., Fabienne C., Océane, Maylis, Mouna, Hélène, Oriane, Isabelle, Clara, Gwenaëlle, Anne-Bérénice, Élodie, Pascal, Graziella, Phil, Thomas L., Charlène, Alexis, Bérengère, Landy-Laure, Anaïs, Audrey L., Thomas K., Caroline A., Brigitte G., Raphaëlle G., Ludovic, Zoé, Philomène, Delphine L., Soline, Claire P., Johan, Antoine, Elise S., Karine, Gilles F., Nathan, Marion, Floriant, Sarra, Josiane, Christine E., Laurent, Bernard, Sylvain, Anne Claire, Fanny, Christine B., Claire H., Delphine B., Valérie, Sophie, Marie-Dominique, Martin, Audrey B., Raphaëlle V., Elise B., Elisabeth, Maxime, Sandra, Merryl, Céline, Jules, Romane, Camille, Suzanne, Morgane, Olivier, Joachim, Stéphane, Michel, Pierrick, Axel, Guillaume D., Ariane, Alexis, Julie, Carine, Benoît, Corinne, Caroline CB., Anne-Gaëlle, Albane, Lola, Aude, Guillaume M., Jérôme D., Mouloud, Gilles D. & Félix G. (noooon, sont pas morts), et les plaines et les hirondelles. Et même la baleine, qui me mena au fond.

Un supplément câlin pour les lucioles de ma nuit. Elles se reconnaîtront. 

Je ne cite pas toustes les participant•es aux ateliers 😬 mais je pense bien sûr à vous et à vos textes 😍😍😍, sans qui tout ça n’aurait aucun sens. Si je vous ai oublié•e eng***lez-moi. Merci pour ces échanges qui ont tant nourri mon projet et mon chemin, et ces collaborations réalisées, en cours ou à venir !

Pour finir, j’aime ouvrir chaque nouvelle année avec un mot comme intention. Un cap inatteignable. Je doute et vous le livre cependant. Désir. Ne vous y trompez pas, il est séduisant, il est banni, surtout celui des femmes. Je vous assure, ça désespère. Je vous assure, ça enrage. Des ires de femmes ne peuvent être entendues. Ne savent être exprimées. Il faut apprendre, encore. Je relirai Girard, son désir mimétique, je veux comprendre la jalousie. Je relirai Pierre Rey et décortiquerai, formulerai les failles. Le désir n’est pas manque, il est trop-plein. Biaisé•es que nous sommes il se transforme en addictions, en appétits de possession, frénésies de surconsommation, des biens, des corps, des êtres. Je relirai, encore et encore, Deleuze et Guattari et leur corps sans organe. Je découvrirai la pensée de Claire Touzard, Adèle Yon, Bell Hooks… Je lirai et à nouveau, j’espère, ressentirai. J’apprendrai et à nouveau, j’espère, écrirai. Sur le métier, nouvel ouvrage, aux fils tout emmêlés. De lui je me serais passée volontiers mais il toque à la porte de l’atelier et si elle reste fermée il passe par la vmc.

À vous lire, à vous écrire. Bonne (fin d’)année.

Ça vient du ventre – 21*29,7cm – encre de Chine et encres aquarelles sur papier – ibrida folia

« [Nos délires] sont les rêves venus de ces aires dévastées qu’habitent les spectres et les images à demi effacées qui insistent pour qu’on s’en souvienne, malgré tout. Ce sont les joies inconnues venues aussi de notre capacité à faire de la vérité autre chose qu’une convenance, autre chose qu’un réglage. Le délire est une reconnaissance de la vérité qui excède les capacités de notre être – ça nous déborde et nous persécute, alors on en fait des voix qui nous menacent, mais ces voix ne disent pas n’importe quoi. La folie n’est pas une contrée inhabitée, c’est plutôt une langue oubliée. Trouver en soi les chemins pour en comprendre l’insistance, c’est permettre à ces voix anciennes de se délivrer en nous et nous, avec elle, de créer notre propre langue. C’est être des traducteurs. Passer de l’effroi au langage, de la stupeur de l’enfance à l’écoute de ce qui en nous nous parle d’autre chose, d’inconnu, certes, mais peut-être pas hostile. […]

Que faire de ces gens-là, ces « bipolaires » ? Ils arrivent malheureux dans les cabinets des thérapeutes pour être « soignés », guéris de cette lèpre qui les empêche de vivre doucement comme les autres, sans faire de foin, sans bruit, sans trop d’éclats, sans casse. Comment leur dire que ce délire une fois refermé, leur être connaîtra une tristesse indicible et sans nom, que dans cet exil tranquille ils perdront leur foi et le sens de leur vie, qu’ils finiront par faire une saine « dépression » sans savoir pourquoi. Ils auront oublié qu’un jour leur vie s’est ouverte en deux, a laissé passer la lumière, trop forte, trop vive, certes, peut-être, mais que de ce trésor, s’ils ne s’en emparent pas, s’ils ne s’en font pas les découvreurs, ils deviendront des fossoyeurs. » – Anne Dufourmantelle, En cas d’amour (chapitre « État maniaque »)

Elise Levinson – ibrida folia

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